RENSEIGNEMENTS SITUATIONNISTES (décembre 1959)
La section hollandaise de l’I.S. (adresse : Polaklaan 25, Amsterdam C) a organisé deux manifestations avec conférences prononcées — selon l’usage situationniste — par des magnétophones, et débats très animés : l’une, en avril à l’Académie d’Architecture ; l’autre en juin, au Stedelijk Museum. Elle avait adopté, en mars, une résolution contre la restauration de la Bourse d’Amsterdam, exigée par toute l’opinion artistique, en proposant au contraire « de démolir la Bourse et d’aménager le terrain comme terrain de jeu pour la population du quartier » et en rappelant que si « la conservation des antiquités, comme la peur des nouvelles constructions est la preuve de l’impuissance actuelle… le centre d’Amsterdam n’est pas un musée, mais l’habitat d’hommes vivants ».
En août, les situationnistes hollandais ont exposé dans un numéro spécial de la revue Forum (n° 6), nos positions sur l’unification des arts et leur intégration à la vie quotidienne. Rejetant divers bavardages sur ce thème, la présentation de Constant déclare d’emblée : « Il faut qu’une modification totale de la structure sociale et de la créativité artistique précède l’intégration ».
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La section allemande de l’I.S. est à présent organisée à l’adresse suivante : Deutsche Sektion der Situationistischen Internationale, Kaulbachstrasse 2, Munich. Elle a édité, pour servir à la discussion préparatoire de la Troisième Conférence, deux documents traduits sous les titres : « Erklärung von Amsterdam » et « Thesen über die Kulturelle Revolution ».
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Une note concernant l’âge moyen des situationnistes, parue dans le n° 2 de cette revue, exige d’être à la fois complétée par l’évolution enregistrée depuis lors, et rectifiée quant à l’interprétation des statistiques — en elles-mêmes correctes — qui avaient été employées. Cette note indiquait que la moyenne d’âge de vingt-neuf ans et demi, qui était celle de la fondation de l’I.S., s’était élevée en une seule année à un peu plus de trente-deux ans. Pour éclairer ce processus de vieillissement accéléré, et considérant que l’I.S. se présentait largement comme une suite du mouvement avant-gardiste « lettriste » du début des années [19]50, on y comparait le chiffre même de vingt-neuf ans et demi avec la moyenne, inférieure à vingt et un ans, qui, quatre années plus tôt seulement, était celle de l’Internationale lettriste « à l’été de 1953 ».
C’est ici qu’il convient d’examiner de plus près les oscillations des chiffres, et leur relation avec les variations dans le recrutement du mouvement. L’âge moyen du mouvement lettriste uni, en 1952, s’élève à 24,4. Au jour de la rupture — la gauche lettriste ayant généralement rassemblé l’aile la moins âgée — il tombe à 23 dans l’Internationale lettriste. Ce dernier mouvement s’orientant vers un extrémisme toujours plus séparé de l’économie culturelle, et étant rejoint par des éléments très jeunes, l’âge moyen descend en effet à 20,8 pour l’été de 1953 (chiffre de base de l’évaluation dans notre n° 2).
En prenant ainsi pour point de départ le chiffre de 24,4 en 1952, le vieillissement normal en 1957 donnerait 29,4. En fait, il est au moment de la Conférence de Cosio d’Arroscia égal à 29,53. Cette analogie montre que les éléments anciens expulsés sont remplacés par une autre couche provenant de différentes tendances avant-gardistes de la même génération. Les adolescents de 1953 ont été dans l’ensemble eux-mêmes remplacés par ces nouveaux professionnels. Après un an d’existence de l’I.S., l’âge s’élève à 32,08 (au lieu du vieillissement normal de 30,4 à partir de 1952, ou de 30,53 à partir de Cosio d’Arroscia). C’est effectivement un vieillissement très notable, traduisant le fait que le ralliement d’éléments préalablement engagés dans l’art expérimental de l’après-guerre se poursuit. Le vieillissement reporté sur une période de six ans est cependant bien loin du taux catastrophique qui apparaissait dans notre précédente analyse. Mais on peut se préoccuper de l’absence d’un renouvellement par des fractions plus jeunes.
Des signes d’un tel renouvellement se présentent pour la première fois en 1959. Après la Conférence de Munich, en effet, l’âge moyen dans l’I.S. s’établit à 30,8, en recul très important sur le chiffre de l’année précédente (32,08), et en recul même par rapport au chiffre du vieillissement normal depuis l’été de 1952 (31,4).
Il reste que ce recul — outre que ses causes sont principalement localisées en Allemagne — n’introduit, à considérer la période de sept ans, qu’un faible rajeunissement ; et que l’on ne peut parler encore d’une jeune génération ayant globalement remplacé celle de 1952 dans la recherche culturelle la plus avancée.
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Une note dans le premier numéro (du 15-7-59) de la nouvelle série de Potlatch (« Sur l’enlèvement des ordures de l’intelligence ») qui rappelle que Hans Platschek a été exclu en février à cause de sa collusion avec la revue « dadaïsto-royaliste » Panderma, souligne à ce propos que « Platschek se trouve être seulement le sixième cas d’exclusion depuis la formation de l’I.S. »Signalons à titre comparatif que l’Internationale lettriste, dans les deux premières années de son existence, avait déjà exclu douze membres.
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Entre juin et octobre 1959, la rédaction d’Internationale Situationniste a reçu 127 lettres anonymes. Toutes paraissent provenir des mêmes personnes, exclues de longue date et demeurées aussi incapables d’accéder à l’indifférence envers leur très ancienne mésaventure qu’à une quelconque réintégration, ici ou ailleurs.
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Les survivants du lettrisme classique, dont Isou est le plus notoire, n’arrivent pas à se défaire de plusieurs vieux disciples, qui sont aussi fidèles qu’ils peuvent à la méthode, mais ambitionnent maintenant de tout recommencer pour leur propre compte « créatif » : Isou donne une idée des extrémités atteintes dans le conflit qui les déchire, en polémiquant (dans le numéro 8 de Poésie Nouvelle) avec le plus mystérieux, qu’il appelle X… :
« X… me traite ensuite d’autodidacte. Or, j’ai presque autant de diplômes que lui et un peu plus que ses amis du mouvement, qui n’ont même pas leur bachot.
« X… vient de décrocher un dernier diplôme supplémentaire avant moi qui en prépare en ce moment d’autres : je suis certain que bientôt j’aurai plus de diplômes que lui…
« Mais déjà, certains d’entre nous utilisent le couteau pour régler leurs différends culturels. Quelques-uns de mes disciples pensent déjà à s’acheter des revolvers pour imposer silence à leurs adversaires. Ici, je surgis et je m’oppose… Même si cette ligne de sang doit être franchie, je ne crois pas que, dans un monde où le racisme et le fascisme renaissent — et ou Buffet, Françoise Sagan, “Elle”, le “nouveau roman” représentent la “culture moderne” — nous devions la franchir entre nous, créateurs d’avant-garde et, sur certains plans, révolutionnaires. »
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Dans un tract diffusé en novembre par le Laboratorio Sperimentale d’Alba, les situationnistes Eisch, Fischer, Nele, Pinot-Gallizio, Prem, Sturm et Zimmer vouent à l’exécration publique le peintre espagnol Cuixard qui, pour bénéficier plus sûrement du Grand Prix de Peinture de Sao-Paulo, n’a pas craint de dénoncer le communisme de ses compatriotes Saura et Tapiès, au risque de les mettre « en de grandes difficultés vis-à-vis des organisations policières de leur pays ».
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Le supplément d’information attendu de la série de dérives à effectuer dans Amsterdam en avril et mai 1960, ainsi que de la construction concomitante d’un labyrinthe, nous incite à renvoyer à plus tard la suite de l’étude sur la dérive commencée dans notre précédent numéro, comme le plan de situation alors annoncé.
Le supplément d'information attendu de la série de dérives à effectuer dans Amsterdam en avril et mai 1960, ainsi que de la construction concomitante d'un labyrinthe, nous incite à renvoyer à plus tard la suite de l'étude sur la dérive commencée dans notre précédent numéro, comme le plan de situation alors annoncé.
« Renseignements situationnistes », Internationale Situationniste, numéro 3, décembre 1959 (Comité de Rédaction : Asger JORN, Helmut STURM, Maurice WYCKAERT ; Directeur : G.-E. DEBORD)
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