Saturday, December 20, 2008

LES DERNIERS JOURS DE POMPÉÏ (DAHOU & DEBORD, 30 juin 1955)

Si l’exposition des monnaies gauloises de la rue d’Ulm a excité l’indignation des nationalistes les plus bornés, dont les Gaulois étaient auparavant la propriété exclusive, elle avait cependant été montée dans le seul but de combattre le réalisme-socialiste, issu de la tradition plastique gréco-latine, en lui opposant une certaine conception de l’art moderne-éternel, incomplètement figuratif, que les initiés peuvent reconnaître dans la décoration des cavernes, les poupées Hopis, les monnaies gauloises et les plus récentes théories de M. Charles Estienne.

Dédé-les-Amourettes, toujours à l’affût d’un casse idéologique facile, était naturellement engagé. Avec l’espoir de redorer sa raison sociale par une nouvelle dose de primitivisme. On sait que le primitivisme est pour lui ce que Bogomoletz est pour d’autres.

La construction dualiste qui cherche à opposer une « tendance éternelle » de l’art à une autre est aussi bête que l’ensemble de la pensée occultiste, également chère aux mêmes personnes.

Comme le plus plat traditionalisme, le plus artificiel irréalisme étaient déjà l’apanage de la théorie réaliste-socialiste, les deux mauvaises causes sont à présent en lutte sur le même terrain, avec les mêmes armes, qui sont précisément celles de l’idéalisme petit-bourgeois. Chacun défend fièrement l’ancienneté et l’éternité de ses normes.

On peut en juger par l’article de M. Pierre Meren (« Opération Art Gaulois ») dans le numéro 65 de La Nouvelle Critique. Pour M. Meren toutes les tentatives dites « modernes » rejoignent nécessairement les courants artistiques primitifs parce qu’elles témoignent de la même impuissance de l’homme devant un monde dont les ressorts lui échappent. Mais au lieu de se rendre compte que, si ces tentatives sont l’expression historiquement nécessaire d’une aliénation moderne de l’homme, leur dépassement ne sera rien d’autre qu’un art intégral au niveau des ressources qu’il s’agit aujourd’hui de se soumettre, Meren se borne à prescrire le remède qui s’est souverainement manifesté à Athènes et dans l’Europe de la Renaissance.

La même esthétique a d’ailleurs des références supplémentaires puisqu’elle a été la matière première de tous les sous-produits d’abrutissement artistique réservés au peuple par la bourgeoisie, depuis que celle-ci, obligée par les progrès de la technique à instruire ses futurs employés, a dû mettre au point la falsification de cette instruction, des manuels scolaires à la presse quotidienne.

Ces futilités, de gauche et de droite, seront vite corrigées par l’histoire. Ces entreprises ont ceci de commun que leur programme révèle à suffisance leur néant, et dispense même d’aller voir le travail.

À ce propos, il est bon d’avouer que nous ne sommes pas allés au Musée Pédagogique de la rue d’Ulm depuis mai 1952. À cette époque, faisant d’une pierre deux coups, nous nous y étions rendus après la manifestation contre Ridgway pour interrompre un ridicule Congrès de la Jeune Poésie – la dernière exhibition de ce genre dans Paris, à notre connaissance – et plusieurs cars de police appelés par la direction du Musée avaient été nécessaires pour défendre cette Jeune Poésie contre notre critique.

D’autres mauvais coups ont pu depuis lors choisir le même cadre officiel et pédagogique. On ne nous reverra plus dans ce bouge, quand bien même sa recherche de l’avant-garde irait jusqu’à exposer de la fausse monnaie utilisable.

Mohamed DAHOU, G.-E. DEBORD.
Mohamed DAHOU & G.-E. DEBORD, « Les Derniers jours de Pompéï », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LA BIBLE EST LE SEUL SCÉNARISTE QUI NE DÉÇOIVE PAS CECIL B. DE MILLE


Personne ne se souvient de la projection de quelques films lettristes en 1952, la Censure y ayant mis à l’instant bon ordre. Nous cesserons désormais de le regretter puisque tout le monde peut voir le dernier film de M. Norman Mac Laren qui, d’après ses déclarations, paraît en avoir repris l’essentiel de la présentation formelle. Venant à la fin d’une longue carrière toute de labeur et de dévouement à la cause des films éducatifs de l’U.N.E.S.C.O., Blinkity Blark a valu à son créateur l’admiration méritée d’un 8e Festival de Cannes qui fut, à ce détail près, aussi morne que prévu. Et, nous-mêmes, nous le félicitons chaleureusement de nous apporter la preuve de ce que, malgré les interdictions diverses, les plus scandaleuses innovations font leur chemin jusqu’au sein des organismes officiels de la propagande de nos ennemis.


« Cette fois, au lieu de peindre sur pellicule transparentes, j’ai utilisé une bande complètement noire, sur laquelle j’ai gravé des images à l’aide d’un couteau, d’une aiguille à coudre et d’une lame de rasoir. Par la suite, je les ai coloriées à la main avec des peintures cellulosiques... Rejetant la méthode visuelle qui fait d’un film une suite automatique et inexorable de vingt-quatre images par seconde, j’ai éparpillé sur la bande opaque qui se trouvait devant moi, une image ici, une image là, laissant délibérément noire la plus grande partie du film. » (Déclaration de Norman Mac Laren, citée par M. Maurice Thiard, dans Le Progrès, le 5 mai 1955.)




« La Bible est le seul scénariste qui ne déçoive pas Cecil B. De Mille », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LE BOEUF GRAS (30 juin 1955)

Plus que jamais soucieux d’imiter en toute chose nos singuliers contemporains, et très frappés par leur obstination à se glorifier mutuellement, les collaborateurs de la revue Les Lèvres Nues se sont constitués en jury afin de décerner mensuellement un nouveau prix : LE PRIX DE LA BÊTISE HUMAINE.


Ce prix sera attribué après coup à tout homme ou toute femme ayant témoigné par quelque mode d’expression ou quelque action que ce soit d’un effort assidu pour se maintenir à l’ombre de l’intelligence.


Le prix étant purement honorifique, il ne sera souillé d’aucune opération de caractère pécuniaire.
Les lauréats seront régulièrement proposés aux faveurs du public par la voie de la presse.


Déjà, le 1er juin 1955, réuni en séance solennelle, le jury a décidé à l’unanimité de décerner le premier Prix de la Bêtise Humaine, à titre ex aequo, à



MONSIEUR ANDRÉ MALRAUX
pour l’ensemble de son œuvre esthétique, et à
MONSIEUR LE ROI BAUDOUIN
pour son voyage au Congo (« belge »).




« Le Boeuf gras », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LA GLOIRE ET LE BAVEUX (30 juin 1955)



L’échotier Jean-François Devay ayant insinué dans Paris-Presse qu’un roman publié dernièrement aux éditions Gallimard par un jeune auteur « ... pourrait bien être l’œuvre honteuse d’un de ses copains lettristes », nous signalons que ce bruit est, lui aussi, dénué de tout fondement.


Nous tenons la très grande majorité des « œuvres » qui paraissent actuellement en France pour effectivement assez « honteuses ». Nous n’avons aucune relation avec les gens qui ne pensent pas comme nous.


L’étalage d’un tel fanatisme semble inspirer à l’infini des petits mensonges qui tiennent peut-être lieu de revanche ?


« La Gloire et le baveux », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

DE L'AMBIANCE SONORE DANS UNE CONSTRUCTION PLUS ÉTENDUE (J. FILLON, 30 juin 1955)






De l’inspiration originelle et simultanée des primitifs à la symphonie conditionnée, l’art musical a exploité toutes les veines instrumentales.


Mais, tels les arts majeurs, la musique n’a su éviter l’empirisme : phases de transcription et d’imitation (les éléments déchaînés, vent, océan, etc., l’arche de Noé, et plus récemment les multiples pseudo-reproductions du matériel ferroviaire), plaisanteries qui perdirent tout leur sel à l’apparition du premier phonographe, puisque dès lors s’offrait la possibilité d’entendre de vrais animaux ou une vraie locomotive, si l’on tenait vraiment à en entendre, au lieu de tenter de l’exprimer d’une manière plus ou moins confuse.


Le retour aux primitifs, en faisant appel à certaines formes de jazz, paracheva la décadence ; depuis Satie la musique survivait en tant que distraction facile, ou en tant que métier. Mais la faillite arriva à un stade tel que l’on assista à une course aux nouveaux instruments, ou le plus souvent à la complication de ceux existant. La progression artistique, au lieu de s’effectuer dans le sens de la création simultanée, s’était abâtardie par des apports médiocres tendant à la spécialisation.


Il faut dès le commencement des notions plus subtiles. La création consiste dans la recherche des sujets accessibles aux nouveaux matériaux, c’est-à-dire dans la trouvaille de prétextes inusités.
La composition réside dans la poursuite des expressions futures, plus proches des sujets qui, de ce fait, sauront les exprimer plus activement.


L’élaboration assumera l’acquisition de SONS inouïs. Il y aura la faculté d’écouter, parce que l’attention ne devra plus se fixer pour la compréhension, mais pour saisir la beauté jusque-là restée hermétique. Aux entités musicales habituelles succéderont des séquences syncopées mettant en valeur des vibrations choisies pour leur cadence, leur intensité, ou leur timbre. La cohérence harmonique et le synchronisme aisé sont autant de facteurs parasitaires qu’il faudra abolir. Mais est-ce de la musique ? Telle sera la question posée, la nouveauté apportant chaque fois avec elle ce sentiment de violation, de sacrilège – ce qui est mort est sacré, mais ce qui est neuf, c’est-à-dire différent, voilà qui est pernicieux.


Non, ce n’est plus de la musique. Le règne du cornet à piston a pris fin en même temps que celui du tailleur de pierre.


La différence entre les arts augmente la confusion. Aussi ne distinguera-t-on plus les arts forts, mais un art maître les absorbant : l’art du béton par exemple. Dans le même ordre la nouvelle architecture déterminera une plastique sonore (par l’emploi des ondes moléculaires) qui s’identifiera au décor. On assistera alors à la découverte de climats bouleversants.


L’art n’est plus une belle chose rendue par des moyens, mais de beaux moyens qui rendent occasionnellement quelque chose.


Jacques FILLON, « De l'ambiance sonore dans une construction plus étendue », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LE GRAND CHEMIN QUI MÈNE À ROME (30 juin 1955)


L’intérêt et les discussions soulevés presque partout par le film de Federico Fellini Le Grand Chemin (La Strada) ne se conçoivent que dans la perspective d’un extrême appauvrissement simultané du Cinéma et de l’intelligence critique des intellectuels bourgeois.

Les uns veulent y voir un nouveau néoréalisme, comme on dit une Nouvelle-nouvelle Revue Française ; d’autres pâment d’admiration en reconnaissant une sorte de sous-produit des mimiques de Chaplin dans le personnage de Gelsomina ; presque tous sont aveugles à propos des répugnantes intentions idéalistes d’un film qui constitue une apologie de la misère matérielle et de tous les dénuements, une invitation à la résignation particulièrement bien venue politiquement dans l’Italie d’aujourd’hui où le chômage, les bas salaires et cette salope de Pie XII exercent une action conjuguée pour créer en série le personnage de Zampano.

On sait bien que l’idéalisme mène toujours à l’Église, ou aux divers succédanés qui la remplacent dans les superstructures de la société actuelle. Dans le cas de Fellini la chose est si claire qu’il en convient lui-même sans rougir : « Je sais bien qu’une idée pareille risque de n’être pas bien accueillie en une époque où l’on préfère donner comme remède aux souffrances actuelles seulement des solutions abstraites, mais, après La Strada, j’espère qu’une fois encore, les solutions humaines et spirituelles seront bien reçues », déclare-t-il le 14 juin à un correspondant du Figaro à Rome, pour préparer la récidive annoncée sous le titre Il Bidone, et il ne craint pas d’en rajouter : « ... Et le film s’achèvera sur la présomption d’un autre enfer imminent post mortem. J’aimerais que, après avoir vu ce film, les hommes se trouvent davantage prédisposés au bien. »

L’évidence n’empêche même pas un crétin comme Robert Benayoun – déjà capable, en octobre 1954, de signer le tract Familiers du Grand Truc par lequel ses amis, alors surréalistes, nous signalaient à l’attention de la police – d’écrire dans le n° 13 de Positif :

« La Strada a été pris par quelques-uns pour un film chrétien, sous prétexte qu’une scène s’y passe dans un couvent. Le fou rire me prend devant cette méprise. »

Rideau.


« Le Grand chemin qui mène à Rome », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 21, 30 juin 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

BELGIQUE, PETITE AMÉRIQUE (L. RANKINE, 30 mai 1955)



Ce ne sont pas les J.G.S. effervescents et malappris, ni les sournois lecteurs de L’Observateur, ralliés au P.S.B. « parce qu’il n’y a que là qu’on puisse faire quelque chose », qui pourront influencer ou seulement tendre à gauchir l’orientation d’un parti socialiste qui n’est plus que le parti de millions de fesses d’épiciers, tiraillés entre le doublon coopératif ou la carte syndicale, entre l’espoir d’une « permanence » et la pension à 75 % du salaire moyen.

Au meeting du 1er mai à Liège, André Renard, secrétaire national de la F.G.T.B. – l’analogue de F.O. en France, mais avec plus d’omnipotence et moins de souplesse – a lancé un appel incendiaire à la grève générale pour le 11 juin prochain en vue de contrecarrer la manifestation sociale chrétienne prévue ce jour-là contre les projets Collard, qui portent atteinte, bien faiblement, à l’enseignement confessionnel. Ce Renard, qui se prend pour John Lewis, comme le moindre lainier de Verviers ou le plus microscopique industriel de la Basse-Meuse se donnent des airs à la Pierpont-Morgan, a fait la preuve de son « révolutionnarisme » de salon lors de la grève de 1950, à propos de la liquidation de l’affaire royale. En ce temps-là, parlant du siège de la F.G.T.B. aux ouvriers venus dans les rues de Liège, il les renvoya chez eux, les assurant du départ de Léopold III qui, depuis lors, vit au palais de Laeken... Il est vrai qu’aujourd’hui la « question scolaire » offre l’avantage d’opérer le détournement de la force syndicale et d’enterrer le fameux plan des nationalisations, impossible à réaliser sous le gouvernement actuel socialo-libéral, mais qui pourrait être, s’il était mis en action, le prélude d’une unité d’action efficace entre la F.G.T.B. et les organisations syndicales chrétiennes. La question scolaire divise les forces ouvrières au profit de la seule majorité anticléricale, majorité où la réaction libérale se taille encore un beau crépuscule.
Léonard RANKINE, « Belgique, petite Amérique », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)
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MESSAGE PERSONNEL
À l’inconnu de la rue du Tage. Faut-il aller te chercher ?

« LES MÉCANISMES DE LA FASCINATION » (30 mai 1955)


Le 10 mai, Mohamed Dahou, entrant par inadvertance à la Galerie Craven comme on y présentait une exposition de trente peintres abstraits, eut la surprise de reconnaître dans l’assistance un certain nombre de policiers en bourgeois.

Il sortit aussitôt, non sans avoir mis en garde les personnes présentes.
« « Les Mécanismes de la fascination » », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

L'ARCHITECTURE ET LE JEU (DEBORD, 30 mai 1955)



Johan Huizinga dans son Essai sur la fonction sociale du jeu établit que « ... la culture, dans ses phases primitives, porte les traits d’un jeu, et se développe sous les formes et dans l’ambiance du jeu ». L’idéalisme latent de l’auteur, et son appréciation étroitement sociologique des formes supérieures du jeu, ne dévalorisent pas le premier apport que constitue son ouvrage. Il est vain, d’autre part, de chercher à nos théories sur l’architecture ou la dérive d’autres mobiles que la passion du jeu.

Autant le spectacle de presque tout ce qui se passe dans le monde suscite notre colère et notre dégoût, autant nous savons pourtant, de plus en plus, nous amuser de tout. Ceux qui comprennent ici que nous sommes des ironistes sont trop simples. La vie autour de nous est faite pour obéir à des nécessités absurdes, et tend inconsciemment à satisfaire ses vrais besoins.

Ces besoins et leurs réalisations partielles, leurs compréhensions partielles, confirment partout nos hypothèses. Un bar, par exemple, qui s’appelle « Au bout du monde », à la limite d’une des plus fortes unités d’ambiance de Paris (le quartier des rues Mouffetard-Tournefort-Lhomond), n’y est pas par hasard. Les événements n’appartiennent au hasard que tant que l’on ne connaît pas les lois générales de leur catégorie. Il faut travailler à la prise de conscience la plus étendue des éléments qui déterminent une situation, en dehors des impératifs utilitaires dont le pouvoir diminuera toujours.

Ce que l’on veut faire d’une architecture est une ordonnance assez proche de ce que l’on voudrait faire de sa vie. Les belles aventures, comme on dit, ne peuvent avoir pour cadre, et origines, que les beaux quartiers. La notion de beaux quartiers changera.

Actuellement déjà on peut goûter l’ambiance de quelques zones désolées, aussi propres à la dérive que scandaleusement impropres à l’habitat, où le régime enferme cependant des masses laborieuses. Le Corbusier reconnaît lui-même, dans L’urbanisme est une clef, que, si l’on tient compte du misérable individualisme anarchique de la construction dans les pays fortement industrialisés, « ... le sous-développement peut être tout autant la conséquence d’un superflu que celle d’une pénurie ». Cette remarque peut naturellement se retourner contre le néo-médiéval promoteur de la « commune verticale ».
Des individus très divers ont ébauché, par des démarches apparemment de même nature, quelques architectures intentionnellement déroutantes, qui vont des célèbres châteaux du roi Louis de Bavière à cette maison de Hanovre, que le dadaïste Kurt Schwitters avait, paraît-il, percée de tunnels et compliquée d’une forêt de colonnes d’objets agglomérés. Toutes ces constructions relèvent du caractère baroque, que l’on trouve toujours nettement marqué dans les essais d’un art intégral, qui serait complètement déterminant. À ce propos, il est significatif de noter les relations entre Louis de Bavière et Wagner, qui devait lui-même rechercher une synthèse esthétique, de la façon la plus pénible et, somme toute, la plus vaine.

Il convient de déclarer nettement que si des manifestations architecturales, auxquelles nous sommes conduits à accorder du prix, s’apparentent par quelque côté à l’art naïf, nous les estimons pour tout autre chose, à savoir la concrétisation de forces futures inexploitées d’une discipline économiquement peu accessible aux « avant-gardes ». Dans l’exploitation des valeurs marchandes bizarrement attachées à la plupart des modes d’expression de la naïveté, il est impossible de ne pas reconnaître l’étalage d’une mentalité formellement réactionnaire, assez apparentée à l’attitude sociale du paternalisme. Plus que jamais, nous pensons que les hommes qui méritent quelque estime doivent avoir su répondre à tout.

Les hasards et les pouvoirs de l’urbanisme, que nous nous contentons actuellement d’utiliser, nous ne cesserons pas de nous fixer pour but de participer, dans la plus large mesure possible, à leur construction réelle.

Le provisoire, domaine libre de l’activité ludique, que Huizinga croit pouvoir opposer en tant que tel à la « vie courante » caractérisée par le sens du devoir, nous savons bien qu’il est le seul champ, frauduleusement restreint par les tabous à prétention durable, de la vie véritable. Les comportements que nous aimons tendent à établir toutes les conditions favorables à leur complet développement. Il s’agit maintenant de faire passer les règles du jeu d’une convention arbitraire à un fondement moral.


Guy-Ernest DEBORD, « L'Architecture et le jeu », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

RÉDACTION DE NUIT (30 mai 1955)



Le tract Construisez vous-mêmes une petite situation sans avenir est actuellement apposé sur les murs de Paris, principalement dans les lieux psychogéographiquement favorables.

Ceux de nos correspondants qui auront pris plaisir à coller ce tract peuvent en réclamer d’autres à la rédaction de Potlatch.


« Rédaction de nuit », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

Wednesday, June 11, 2008

DUTILLEUL CONTRE L'INTERNATIONALE LETTRISTE (30 mai 1955)



Suite de la troisième lettre de Dutilleul, du 7 avril 1955.

Je regrette vivement de ne pouvoir vous suivre et accepter vos conditions fantaisistes. Croyez bien que les écarts de langage et le manque de considération que vous avez pour notre confrère français Albert Camus ne changeront en rien notre fonctionnement habituel. – Par conséquent, je dois vous faire savoir d’une façon définitive que notre contrat d’exposition doit prévoir la publicité selon nos conventions habituelles ; que ce contrat ne peut prévoir l’impression ou la diffusion de commentaire. Votre lettre précédente me demandait de réaliser ces imprimés et de vous les facturer en plus. Je vous donnais à savoir que nous n’acceptions pas de travaux extérieurs et que vous pouviez passer commande à un imprimeur. Je ne puis que vous redire ces données. Dès lors, nous réalisons, selon notre contrat, des invitations courantes et des affichettes. – D’autre part, nous ne pouvons considérer ce fait comme vous autorisant à ne pas exposer. Je vous prie donc, tout en transmettant en garantie votre dossier à notre syndicat, de considérer les dates d’exposition de notre contrat et de les appliquer. – Croyez bien que je serais heureux de présenter ces expositions, mais je regrette votre position indéfendable ; j’espère que vous voudrez considérer la présente comme réelle. Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de mes meilleurs sentiments.

Georges-Marie Dutilleul
Dr Gl

De G.-M. Dutilleul. – à l’Internationale lettriste, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e, France.

9 avril 1955
Messieurs,

J’accuse réception de votre billet de ce 7 avril 1955. Je regrette que vous ne pouviez (le style, c’est l’homme – note de Potlatch) exposer et que votre avis me parvienne la veille du vernissage de l’exposition ce qui, sans conteste, me cause un préjudice réel. Le contrat que vous avez signé reste valable en tout, dés lors, que vous exposiez ou non, la période retenue est vôtre. Je vous prie néanmoins de m’avertir trois jours auparavant de l’arrivée éventuelle de vos matériaux. En annexe, j’ai l’honneur de vous transmettre la facture pro-format relative à vos contrats, facture que vous voudrez bien liquider selon nos conditions. Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de ma considération,

Georges-Marie Dutilleul

Suite à une communication de la Chancellerie de France et de sa Section Consulaire auprès desquelles notre Syndicat a présenté le rapport de vos agissements et nos contrats, je tiens à vous faire savoir que si la facture annexée n’était pas prise en considération dans les six jours, la Chancellerie de France communiquerait au Conseiller Commercial de l’Ambassade de Belgique à Paris ces documents en vue d’assignation immédiate et de plainte de police par huissier, frais à votre charge s’élevant à 780 francs belges en sus.

La présente réalisée en triple exemplaire et enregistrée à Bruxelles le 9 avril 1955.

lu et approuvé

illisible


UN DERNIER MOT

On conçoit que l’industrieux Dutilleul, frustré des bénéfices qu’il escomptait réaliser sur les ventes lorsqu’il nous offrit gratuitement ses galeries, veuille balancer ce manque à gagner en facturant au prix fort la note de frais des invitations qui n’ont pas servi.

On retiendra toutefois comme l’élément instructif de la prose peu claire de Dutilleul le fait que M. Albert Camus s’y trouve nommément désigné comme étant un « confrère français » de cette sorte d’huissier d’avant-garde, tenace mais impayé. Ajoutons que nous ne croyons pas avoir manqué de considération envers l’auteur de L’Homme révolté en déclarant qu’il est un médiocre, prêt à se produire sur tous les tréteaux. Tout le monde sait cela. Depuis le 14 mai, il écrit même dans L’Express.

pour Potlatch :

Michèle BERNSTEIN,
J. FILLON.


« Dutilleul contre l'Internationale lettriste », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

MAI 1955, LA PRESSE RÉPUBLICAINE S'ATTENDRIT SUR LE RÉPUGNANT CADAVRE DE MARIE-ANTOINETTE (30 mai 1955)


« L’indulgence est pour les conspirateurs, et la rigueur est pour le peuple. On semble ne compter pour rien le sang de 200 000 patriotes répandu et oublié. »
SAIN-JUST, Rapport du 8 ventôse, an II.


Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LES DISTANCES À GARDER (29 avril 1955)


Nous avions annoncé en novembre 1954 (Potlatch, n° 14) la présentation de deux expositions de « Propagande métagraphique » à Liège et à Bruxelles, du 9 avril au 6 mai 1955. Le contrat qui nous avait été proposé par ces deux galeries belges leur laissait le soin d’assurer l’impression des affiches et des invitations de cette manifestation. Il va de soi que jamais notre liberté complète d’en décider la rédaction n’avait été mise en question.


Le propriétaire de ces firmes artistiques (Galeries Éditions Georges-Marie Dutilleul) prit peur soudainement à la lecture du texte que nous publions ci-après, et à la vue d’un projet d’affiche qui traitait l’architecte Le Corbusier en termes méprisants.


Son refus d’imprimer ce texte entraînait évidemment notre refus de nous compromettre dans son commerce. Il eut le tort de ne pas s’en rendre compte de lui-même. Ce qui l’entraîna à une insistance assez ridicule, puis à une apothéose policière de la dernière inélégance.


On trouvera ici la correspondance échangée.

Texte des invitations

Notre époque est parvenue à un niveau de connaissances et de moyens techniques qui rend possible une construction intégrale des styles de vie. Seules les contradictions de l’économie régnante en retardent l’utilisation.


C’est l’exercice de ces possibilités qui condamne l’activité esthétique, dépassée dans ses ambitions et ses pouvoirs, de même que la maîtrise de certaines forces naturelles a condamné l’idée de Dieu.


Il est inutile d’attendre une invention esthétique importante. Aussi peu intéressantes que les timbres-poste oblitérés, et forcément aussi peu variées qu’eux, les productions littéraires ou plastiques ne sont plus les signes que d’un commerce abstrait.


La phase de transition que nous vivons bouleverse l’ordre des préséances dans le choix des structures, des cadres, et du public des moyens dits d’expression, qui doivent servir de moyens d’action sur le cours des événements. Ainsi, la publicité et la propagande nous paraissant primer toute notion de beauté durable, les travaux métagraphiques de certains d’entre nous ne sont pas destinés au musée du Louvre, mais à établir des maquettes d’affiches.


Il vous est loisible de penser que ces considérations sont la dernière et la plus outrageante forme de cette mystification « lettriste » trop longtemps poursuivie par un groupe de plaisantins sans talent, et qu’une avant-garde d’une saine originalité peut fort bien prendre la relève culturelle. Cherchez-la.

Le 24 mars 1955


pour l’Internationale lettriste :
Michèle BERNSTEIN,

DAHOU,

DEBORD,

J. FILLON,

VÉRA,

Gil J WOLMAN.



De G.-M. Dutilleul à Internationale lettriste.

28 mars 1955
Messieurs,

J’accuse favorable réception de votre billet de ce 25 mars et vous en remercie. Je dois, néanmoins, vous signaler que je ne puis accepter telle votre demande. En effet notre contrat d’exposition doit prévoir l’impression d’invitations et d’affichettes conformes à celles que nous diffusons habituellement, vous trouverez ici même un modèle de nos invitations courantes. Tant à Liège qu’à Bruxelles, la notoriété de nos Galeries ne peut nous permettre une autre présentation. De plus, vous devrez constater que les invitations que vous demandez sont plus un manifeste que des invites et que les affiches demanderaient la réalisation d’un cliché imprévu. Je vous conseille, par conséquent ou d’accepter le modèle de nos imprimés ou de faire réaliser en plus, à Paris l’impression des vôtres ; nos services ne pouvant accepter la diffusion que des imprimés qu’ils éditent. En attendant votre avis par retour, je vous prie de croire, Messieurs, à toute ma considération,

G.-M. Dutilleul

Nota Bene – À cette lettre était jointe, comme preuve sans doute de la « notoriété » de la Maison Dutilleul, un modèle d’imprimé annonçant l’édition, par elle-même, du dernier opuscule de M. Albert Camus.

De l’I.L. à Monsieur Jules Dutilleul,

6 rue de l’Escalier, Bruxelles.

Monsieur,

Je prends connaissance à l’instant de votre lettre du 28 mars, et j’en suis vivement surpris.


Je conçois que le projet d’affiche ne puisse vous convenir, si vous n’avez réalisé jusqu’à présent que des affichettes. Je vous laisse donc libre d’en user ici comme à votre habitude.


Par contre, le texte que vous avez reçu peut fort bien tenir sur une seule face de vos invitations. Et je ne vois pas quelles autres objections pourraient se présenter, puisque l’usage est consacré d’éditer sur les catalogues des galeries une brève présentation de la peinture en cause.


Naturellement, si l’impression de ce texte vous entraîne à des frais supérieurs à ceux prévus par notre contrat, j’y consens volontiers.


La notoriété de notre mouvement – dont vous avez peut-être entendu parler – ne peut nous permettre d’exposer, tant à Liège qu’à Bruxelles, sans définir en toute indépendance notre position.


Compte tenu du fait que je serai moi-même de toute façon à Bruxelles dès le 15 avril avec quelques camarades nord-africains, je pense que le compromis que je vous propose est le plus avantageux pour tout le monde.


J’attends votre réponse, et vous prie de recevoir, Monsieur, mes salutations distinguées.

Le 30 mars 1955
Mohamed Dahou

De l’I.L. à Dutilleul, Bruxelles.

Monsieur,

Quatre jours après vous avoir envoyé une lettre qui demandait une réponse immédiate, nous sommes obligés de constater que les conditions primordiales de l’accord passé entre nous ne sont toujours pas remplies.


Si le texte qui vous effraie n’est pas publié, il est évident que nous n’exposerons pas dans des galeries où se vend habituellement la marchandise la plus mélangée. Vous avez l’air d’ignorer qu’il y a, entre nous et un médiocre comme Camus, quelque distance.


Prenez immédiatement vos responsabilités. Vous ne pensez pas sérieusement obtenir nos métagraphies par des subtilités de maquignon ?

Le 4 avril 1955
pour l’Internationale lettriste :
Jacques Fillon.

Carte des éditions Dutilleul, non datée, non signée.

Cachet postal de Bruxelles en date du 5 avril.

gmd DUTILLEUL accuse favorable réception de votre billet mais ne peut vous satisfaire ! La notoriété et la présentation publicitaire habituelle de ses galeries ne peuvent lui permettre la publication d’un texte ; il vous prie de constater ce fait. Par conséquent, afin de ne pas retarder encore, il fera réaliser, selon le contrat, des invitations et des affichettes habituelles. – Si vous vouliez diffuser d’autres textes vous pouvez, évidemment vous adresser chez un imprimeur, son atelier graphique et d’éditions n’accepte pas de commandes de labeur.


De l’I.L. à Dutilleul, Bruxelles.

Stupide Dutilleul,

En imaginant que tes expositions pourraient se faire dans les conditions que nous avons rejetées, tu viens de donner ta mesure.


Les morveux comme toi, qui veulent réussir, doivent être plus adroits.


Il n’y aura pas d’exposition.

Le 7 avril 1955

pour l’Internationale lettriste :

G.-E. Debord,
Jacques Fillon.

Une lettre à Léonard Rankine

Cher camarade,

En réponse à deux lettres pressantes de nos amis, cette canaille de Dutilleul vient de nous faire parvenir un billet d’une stupéfiante insolence : il refuse absolument d’imprimer le texte que vous savez ; il nous avise que ce que nous pourrions éditer nous-mêmes à ce propos ne saurait être diffusé par ses services – et, de plus, malgré l’alternative que nous lui avions clairement posée, il déclare que cette exposition se fera comme il l’entend à la date prévue.

Devant cette manifestation qui ne relève plus du bluff tolérable mais de la psychopathologie, nous sommes obligés de répondre à l’instant par un mot de rupture aussi injurieux qu’il convient.

Croyez bien que nous sommes désolés, surtout à propos de vous, de la surprenante tournure prise par cette affaire. Recevez nos plus cordiales salutations.

Le 7 avril 1955

G.-E. Debord,
Jacques Fillon

De G. M. Dutilleul à Internationale lettriste, Potlatch, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris, 5e.

7 avril 1955
Messieurs,

J’accuse favorable réception de votre lettre de ce 4 avril, qui vient de me parvenir.

... La suite au prochain numéro


« Les Distances à garder », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

ENCORE LA JEUNESSE POURRIE (29 avril 1955)


Le dernier film de Duvivier Marianne de ma jeunesse unit la plus grande sottise à une funeste abjection morale. L’anecdote, hideusement plagiée du Grand Meaulnes, accumule les poncifs éculés du scoutisme et du parachutisme : dans un manoir-collège de Bavière, un grand dadais en culottes courtes, M. Pierre Vaneck, qui a depuis trouvé sa vraie place au Grand-Guignol, séduit tout le monde par ses récits sur l’élevage des chevaux en Argentine, et son art franciscain d’apprivoiser les oiseaux et les biches de passage. Il est naturellement poète. Il rencontre donc dans le manoir d’en face la Femme mystérieuse-inaccessible-magique-triste sous les traits de Mlle Marianne Hold, qui a une tête à aimer Gilbert Bécaud. (D’ailleurs celui-ci, enthousiasmé par le film, vient de faire quelques couplets sur ce titre, dit-on.) Il y a naturellement des obstacles puissants et occultes à leurs amours toutes idéales, à parfum irrécusable de christianisme. Marianne est de l’autre côté d’un lac ; elle déraisonne beaucoup ; on l’enlève ; des dogues sont charmés par le poète ; on l’assomme ; le condisciple pédérastique cherche en barque le poète ; celui-ci va courir le monde pour retrouver Marianne. Ça fera peut-être un autre film.

Le plus grand scandale est l’histoire d’une très jeune fille, nièce du directeur du collège, qui a eu l’imprudence de s’éprendre de l’écolier-poète. De temps à autre elle se déshabille en sa présence. Naturellement il la dédaigne, puisqu’elle est là et qu’il est amoureux de la Femme inaccessible-magique-mystérieuse-triste qui a l’avantage d’être lointaine et, au sens où l’entendent ces voyous, pure. Cette petite fille, qui mourra piétinée par une horde de biches fanatisées par le doux poète (du moins c’est l’explication apparemment la plus rationnelle), est fort bien jouée par Mlle Isabelle Pia. Il est à noter en passant que la même Isabelle Pia est tout simplement affreuse sur des photos récentes de la Nuit de Saint-Cyr, où on la voit s’afficher entre deux officiers récemment promus. Ce film, décidément, finit mal.

Et surtout Duvivier, le père des célèbres Don Camillo, n’a pas risqué à moitié la compilation des « prestiges poétiques de l’adolescence ». Il a osé mêler à son sale travail les châteaux de Louis II de Bavière, dont il a peu usé pour le tournage, mais énormément pour la publicité de son œuvre malsaine.

Ce procédé seul suffirait à justifier notre indignation, et à renforcer notre assurance que, plus tard, une censure intelligente interdira des films de cette espèce.
« Encore la jeunesse pourrie », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LE GRAND ÂGE DU CINÉMA (29 avril 1955)

Les critiques cinématographiques aiment, de métier, le Cinéma. Ils aiment un certain Cinéma, à l’exclusion de tous les autres Cinémas possibles. Mais, là comme ailleurs, on se lasse : ils voudraient un relatif renouvellement. Ils ont les meilleures raisons de savoir que ce renouvellement est impossible dans les cadres du Cinéma qu’ils estiment et qui les nourrit. Depuis plusieurs années ils jouent à attendre un peu de nouveau, ils jouent la déception, ils jouent l’étonnement.

Depuis plusieurs années il est apparent, aussi pour le Cinéma, que la maîtrise d’une technique, quand elle a parcouru tout le champ possible des découvertes, ne peut rien donner qu’une virtuosité à suivre des règles admises, comme aux Échecs. Cela n’empêche pas nos critiques de feindre la désillusion, ou même l’indignation, en constatant que Clouzot, pour ses Diaboliques n’a fait que mettre une grande connaissance des recettes du film au service d’un passe-temps parfaitement vide de sens. Ou que le dernier Hitchcock (mais enfin, qu’attendaient-ils de Hitchcock ?) ouvre une fenêtre parfaitement gratuite sur une cour totalement insignifiante.

En commençant cette campagne de dépréciation contre quelques-uns de leurs dieux qui, après tout, sont fort capables de leur faire passer agréablement deux heures, les piliers de la religion industrielle-cinématographique donnent les premiers signes de l’épuisement intellectuel qui se manifeste toujours, à la longue, parmi les théoriciens des idéologies concrètement mortes. Bientôt, ils devront se faire plus modestes pour continuer ce métier. Ils admettront peut-être que le Cinéma n’est qu’un spectacle répété à l’infini, comme la messe ou les parties de football.

L’état réel de leur art aujourd’hui, nous l’avions signalé dès avril 1952 dans un tract diffusé au 5e Festival de Cannes, et intitulé Fini le Cinéma Français. Ce n’est pas un argument contre notre position – ce serait plutôt un argument pour – ce fait que nos tentatives de bouleversement dans ce domaine se sont heurtées à l’opposition générale des milieux qui dominent la distribution et même, quand il a fallu, à la Censure.

Depuis cette époque la médiocrité continue de notre Cinéma « atlantique », et même quelques hilarantes tentatives de restauration du style Cocteau, nous ont donné raison. La 8e foire qui s’ouvre ces jours-ci à Cannes sera détestable. Nous prenons un certain plaisir à le constater à l’avance.
« Le Grand âge du cinéma », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LES RÉFLEXES CONDITIONNÉS (23 mars 1955)

La découverte joyeusement annoncée par Aragon au Deuxième Congrès des Écrivains Soviétiques (Nouvelle Critique, n° 62), et qui lui paraît justifier le séminaire des « Jeunes Poètes du C.N.E. » :

« C’est que le fait même de discuter de la technique du vers ramène forcément au vers forgé patiemment et longuement par des siècles d’expérience des poètes... »

N’est-elle pas une preuve de même valeur que ce genre de constatation :

« C’est que le fait même de discuter de théologie ramène forcément à la religion forgée patiemment et longuement par des siècles d’expérience de l’Église... » ?

Potlatch est envoyé à certaines des adresses qui sont communiquées à la rédaction.
Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

« LA BÊTISE AU FRONT DE TAUREAU » (23 mars 1955)


Dans le numéro 109 des Temps Modernes, on peut lire (pages 1053 à 1072) un « témoignage sur une corrida », dû à un certain Robert Misrahi, qui est bien un des textes les plus représentatifs de ce ton de pédantisme irréel introduit il y a quelques années dans la sous-production littéraire par Sartre, et presque disparu depuis sous le ridicule, mais que des épigones maladroits peuvent parfois relancer en aveugles.

La rivalité taureau-torero exposée sans rire comme une histoire d’« homosexuel envieux qui passe de la féminité à la virilité » en tuant l’animal permet au collaborateur des Temps Modernes de donner au torero un conseil péremptoire, et comme on n’a pas tous les jours la joie d’en lire :

« Il suffirait qu’il écrive ses expériences tauromachiques et se fasse poète ; comme Genet, seule la réflexion le sauverait » (p. 1069).

Poussant encore plus loin ce qui semble être une parodie trop chargée, il ressort comme argent comptant les pseudo-définitions de l’art que Sartre lui-même n’a jamais réussi à faire prendre au sérieux par personne, malgré les deux ou trois volumes de Situations qui les insinuaient à chaque page :

« ... la tauromachie ne saurait être assimilée à un art : elle n’a pas pour fondement la générosité, elle n’est pas un appel à la liberté des autres... » (p. 1072).

Il faut ajouter au désastre un petit « engagement » poliment enlevé sur l’économie, avec des aperçus bien personnels : « Sans tueurs (c’est-à-dire sans toreros), il n’y aurait pas d’éleveurs. » Puisque « les gros propriétaires fonciers qui font en grand l’élevage du taureau » feraient place peut-être, faute de taureaux, à des kolkhozes ? (Et d’abord, qu’allait-il faire en Espagne, ce voyou ? Grossir la foule des touristes qui versent leur obole aux finances du régime vaticano-franquiste, attirés par la bassesse des prix qui découle de la misère du peuple espagnol ; et la doctrine dont il est armé ne lui permettait-elle pas d’aligner exactement les mêmes conneries à propos de n’importe quel autre spectacle quotidien ?)

À propos d’une revue dont le support littéraire, bien défini par cette pourriture esthétique et morale qu’est Jean Genet, ne dépasse jamais le niveau de la farce de lycéens (voir dans les numéros 109 et 110 L’homme au bras d’or de Nelson Algren et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, s’ils ne sont pas plus normalement de Boris Vian), nous n’avons pas voulu attirer l’attention sur le « témoignage » d’une bêtise accoutumée, mais plutôt d’une prétention anormale.
« «La bêtise au front de taureau»», Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

NE PAS CONFONDRE (23 mars 1955)


En réponse à Paris-Presse du 7 mars, qui consacre un article de plus à l’affligeant quartier Germain-des-Prés sous le titre « Simone de Beauvoir a le prix Goncourt... le prince des lettristes épouse une princesse égyptienne... etc. » l’Internationale lettriste fait savoir qu’aucune des étrangères épousées par ses adhérents n’est une princesse égyptienne.
Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LETTRE À HENRI LANGLOIS (DAHOU, DEBORD, WOLMAN' 20 mars 1955)


À propos de la présentation à la Cinémathèque française du film d’un ancien lettriste, qui se trouve être un détournement réactionnaire, et par là même plus facilement admissible, des idées que nous avons soutenues, nous avons adressé la lettre suivante à M. Langlois, directeur de cette institution.

Monsieur,

Avisés de votre intention de présenter le 22 mars au musée du Cinéma le film de Bismuth-Lemaître, nous croyons bon d’attirer votre attention sur l’insignifiance de cette production.


Du point de vue du cinéma « lettriste », qui est à notre sens le seul renouvellement fondamental de cet art depuis quatre ans, le film en question n’est qu’une très mauvaise copie du Traité de Bave et d’Éternité d’Isou, qui lui-même n’a représenté que l’effort le plus primaire de ce renouvellement.


L’ambition faiblement pirandellienne surajoutée à ce devoir d’écolier (briser le cadre ordinaire de la représentation cinématographique, etc.) est loin d’atteindre le burlesque moyen d’Helzappopin.


Nous vous rappelons qu’il est fâcheux de favoriser dans un public qui vous fait confiance de si risibles confusions de valeur. Des truquages analogues font que certains attribuent encore aujourd’hui à Cocteau le style affirmé trois ans avant lui dans Un Chien Andalou ; ou, pire, s’imaginent que l’auteur de Miracle à Milan est l’inventeur des effets de René Clair.
Nous espérons que cette lettre vous parviendra à temps.

Le 20 mars 1955
pour l’Internationale lettriste :
M. Dahou, G.-E. Debord, Gil J Wolman.


Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

UN CHIEN ÉCRASÉ (23 mars 1955)


Le décès tardif de Claudel a provoqué certains éloges littéraires qui eussent gagné à s’exprimer en privé. Aux côtés des Figaro-Match – ce dernier illustré a l’avantage de révéler visuellement, pour ceux qui ne l’auraient pas lu, quel répugnant vieillard était Claudel – on peut voir Aragon – Lettres-Françaises ou l’hebdomadaire France-Observateur louer les mérites du disparu, en dépit de ce que l’on appelle, de ce que l’on ose appeler, dans France-Observateur du 3 mars, « la gaucherie de la démarche temporelle du poète ». (Villon, Baudelaire et Rimbaud y sont cités parallèlement comme autres exemples de ce fait que « les poètes ont quelque mal à s’adapter au monde et à ses vicissitudes ».)


Encore une fois, mais d’une manière plus surprenante et plus scandaleuse que de coutume, la presse prétendue progressiste choisit l’admiration esthétique du plus contestable « génie » bourgeois plutôt que le silence ou les injures qui, dans le cas de la mort de Claudel, se trouvent seuls moralement justifiés.
« Un chien écrasé »,

APOTHÉOSE D'UN VEAU (M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, 23 mars 1955)


Le rôle de l’avant-garde en Espagne se trouve être, plus que partout ailleurs, dans la dépréciation des valeurs idéologiques officielles. M. Claudio Colomer Marquès, à qui « l’intellectualisation de certains secteurs de la jeunesse espagnole apparaît comme un fait anachronique et dénué de sens », explique logiquement ce péril dans l’hebdomadaire El Español :


« Dans l’ordre social, toute pensée mue par le stimulant de l’originalité est funeste et subversive... l’intellectuel est un individu qui change l’ordre naturel et logique des attirances de l’intelligence... Nous croyons que l’Espagne a besoin, comme les plus importants pays du monde, d’une jeunesse intelligente, active, professionnelle et sportive. »


Mais si la philosophie de la classe dominante dispose, contre nos camarades espagnols, d’un arsenal d’interdictions plus ouvertement policières que dans le reste de l’Europe, du moins se trouve-t-elle au stade où elle ne ressent plus le besoin d’entretenir des succursales de diversion, du genre Sartre ou Mendès.


La pensée qu’il s’agit de renverser règne seule, à un degré d’inconséquence et de faiblesse dont témoigne cet hommage des grands propriétaires terriens, des maîtres de l’Espagne, à leur production la plus réussie :


« Dans l’église de Jésus de Medinaceli, et par une messe au Saint-Esprit présidée par le délégué national du Syndicat, a été inauguré le Premier Congrès National de l’Élevage, auquel participaient 3 100 éleveurs et 1 000 entrepreneurs, représentants de l’industrie et du commerce...


« Ensuite le chef national du Syndicat de l’Élevage prononça un discours, dans lequel, après avoir salué les assistants, il dit :


“... Ce congrès ne sera pas du verbalisme ; de la démagogie non plus. Son caractère transcendantal ira assez loin dans la conscience de tous les Espagnols...


« Et sachant que les éleveurs sont rassemblés, je veux au nom de tous, offrir notre hommage au grand homme d’état, le Caudillo d’Espagne, Francisco Franco. Avec Franco et pour l’Espagne se lèvent les éleveurs espagnols, et de même que dans les temps impériaux le Conseil de la Mesta avait pour symbole insigne de ses privilèges la majesté du Roi, aujourd’hui, nous, la totalité des éleveurs d’Espagne, nous offrons à notre Caudillo la présidence d’honneur du cheptel espagnol, encadré par l’institution du Syndicat National de l’Élevage, dans cette Espagne glorieuse, qui est redevenue un royaume grâce à l’épée et à la majesté du commandement de Francisco Franco. Franco possède une conception quasi frénétique de l’avenir. Il a la juste appréciation en degré et en ligne du complexe mouvement d’action et de réaction des passions humaines, il a l’intuition du calendrier du futur, voyant dans l’obscurité du destin le fait qui se cache encore dans ses entrailles. Il connaît exactement la force morale disponible pour forger ou précipiter chaque nouveauté. Il domine l’estimation exacte des capacités latentes en la communauté espagnole pour arriver à un but précis. Franco soit notre conducteur en l’anxiété créatrice des éleveurs espagnols !...”


« À la fin de son brillant discours, M. Aparicio fut très applaudi par tous les membres de l’assemblée. »


Hoja de Lunes, Barcelone

pour l’Internationale lettriste :


Michèle Bernstein, Jacques Fillon, Véra.


M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, « Apothéose d'un veau », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

Monday, June 09, 2008

UN MÉDIUM À L'EAU DE VICHY (24 février 1955)

(Max ERNST, L'Unique et sa propriété, frottage, 1925, 26 X 20)


La revue surréaliste, métapsychique et Abellio-occultiste Medium, après sept mois d’un silence que l’on pouvait espérer définitif, vient de publier son numéro 4. Dédé-les-Amourettes et ses douze derniers apôtres y mettent à l’index Max Ernst, coupable d’avoir vendu à la Biennale de Venise la peinture même qu’ils essaient plus moralement de refiler aux Américains dans les galeries peu connues de la rive gauche.

On vérifie une fois de plus que quand on touche à leur seul commerce ces habitués de toutes les compromissions deviennent farouches : ils paraissent croire que des « milieux indépendants » nourriraient des illusions à leur propos. Ils s’inquiètent même de laisser « désorienter la jeunesse ».

Le plus sot, celui qui définit généralement la curieuse position politique de la bande, commente avec sympathie le dernier gouvernement. Le génie du contresens que nous avons déjà décelé chez ce personnage lui inspire de comparer le prolétariat évolué de 1848 au sous-prolétariat dégradé d’aujourd’hui « pour lequel les préoccupations alimentaires et le problème du logement tiennent plus de place que les virtualités révolutionnaires ». On peut en déduire qu’il ne sait rien de juin 1848, de Marx, du prolétariat.

Mieux encore, le même conclut de « l’expérience Mendès » que les divers éléments du capitalisme international, ou les factions qui le représentent à l’échelle nationale sont plus occupés de leurs luttes intestines que d’un combat contre le monde prolétarien. On peut en déduire que ce professionnel de l’anticommunisme ne sait rien de Staline, dont il reproduit bêtement la plus fausse et la plus funeste théorie.


« Un Médium à l'eau de Vichy », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

TROIS PETITS TOURS ET PUIS S'EN VONT... (L. RANKINE, 24 février 1955)


La démission du dauphin de Staline a plongé les Occidentaux dans la stupeur. Stupeur feinte, il est vrai, car il n’est sans doute pas un seul homme poli tique responsable (?) des pays capitalistes pour ne pas admettre implicitement que la chute de Malenkov se trouvait rendue inévitable à la suite des dernières élucubrations de la politique du Pentagone. La ratification des accords de Paris et les préparatifs loufoques d’aide au boyard attardé de Formose, voilà autant de causes réelles à l’actuel raidissement soviétique, à l’apparent « retour à Staline » annoncé par Khrouchtchev au Soviet de l’U.R.S.S. En bon Talleyrand de la révolution d’Octobre, le larbin n° 1 Molotov n’a fait que renchérir à l’oscillation du pendule de la politique soviétique. Avant de s’étonner, nos innocents partisans du réarmement allemand auraient mieux à faire en reconnaissant que la discussion avec l’Est est maintenant, de nouveau, compromise par leur sottise criminelle. Quand donc comprendra-t-on qu’il existe chez les Russes – et avant toute présupposition révolutionnaire, hélas – une crainte permanente de l’Occident ? Et le tournant amorcé par Khrouchtchev ne manifeste, une fois de plus, que cette inquiétude – tout compte fait légitime, mais nuisible à la révolution même – que la politique de Staline, politique à l’échelle de cette réaction psychologique primaire, avait traduite avec tant de force, d’application rusée et naïve à la fois.


Néanmoins, la démission de Malenkov, si elle s’inscrit logiquement dans la longue suite des tournants du régime orchestrés en fonction de cette crainte, porte préjudice avant tout aux intérêts révolutionnaires du prolétariat mondial. Si le président du conseil russe est amené à se déclarer « incompétent », on se demande comment le sens critique des travailleurs doit être envisagé et quelle conclusion en tireront – ne disons pas les mercenaires de la philosophie bourgeoise du type Toynbee ou R. Aron – mais les marxistes authentiques. L’état actuel de la direction du mouvement révolutionnaire est tel que bien peu d’entre eux, sans doute, admettront encore la possibilité de perspectives révolutionnaires confiées à l’appréciation de gens aussi peu qualifiés que Malenkov, Khrouchtchev et consorts, ces staliniens sans Staline c’est-à-dire sans le mythe de la force. Il n’est pas de plus cinglant démenti du « niveau idéologique révolutionnaire » des staliniens, de leur prétendue « fidélité à Lénine » que la pitoyable confusion des maîtres actuels du Kremlin.


Où donc sont les révolutionnaires ? D’aucuns, déjà, prétendent à la « nouvelle gauche non marxiste », piège usé de la réaction style « capitalisme évolué ». Mais le moment est venu pour les marxistes de choisir entre les palinodies de Moscou et la voie difficile mais seule authentique, les perspectives de la critique réelle.


Léonard Rankine


Léonard RANKINE, « Trois petits tours et puis s'en vont... », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

QUELQUES FORMES QUE PRENDRA LA DÉRIVE (Véra, 24 février 1955)


Elle doit être :

a) dans le temps – constante, lucide ; influentielle et surtout énormément fugitive.

b) dans l’espace – désintéressée, sociale, toujours passionnante.

Peut s’effectuer à l’état latent, mais toujours les déplacements la favorisent.

En aucun cas elle ne doit être équivoque.

Véra

VÉRA, « Quelques formes que prendra la dérive », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

QUART DE FINALE (24 février 1955)


À l’appui d’une réalité quotidienne déprimante au point que l’on sait, la bourgeoisie exploite deux ou trois industries d’évasion utiles au système. Le western, le scoutisme et le reportage exotique recrutent pour les mêmes Corps Expéditionnaires.

Au-dessus de ces évasions de consommation courante, des amuseurs de première grandeur produisent, avec le cachet d’individualité du travail artisanal, du confusionnisme pour élites instruites. Les meilleurs sont assurés d’appartenir à l’histoire de leur « civilisation », s’ils s’identifient parfaitement à ce moment dont ils assument la défense.
On peut parler d’une sorte de championnat interpolices.

Après diverses tentatives Malraux-Capital-Travail, Malraux-l’Express, en réussissant à comparer Saint-Just à Mahomet six fois en vingt et une pages, vient d’établir solidement son titre de mameluck du XXe siècle.

Mais les carottes sont cuites. Cette fois, Cocteau gagne.

pour l’Internationale lettriste :

Michèle Bernstein, Dahou, Debord, Gil J Wolman.
M. BERNSTEIN, M. DAHOU, G.-E. DEBORD, Gil J WOLMAN, « Quart de finale », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

ÔTE TA MOUSTACHE ON T'A RECONNU


Extraits du sermon Sur Saint-Just, paru dans la Nouvelle-nouvelle Revue Française de janvier, sous la signature du Nouveau-nouveau Malraux.

« ... la légende française aime les soldats... Sans doute la présence de Saint-Just dans quelques mémoires tient-elle à celle des soldats de l’an II dans toutes les autres.

« Il veut créer des institutions pour former des hommes, et des hommes pour vouloir des lois dignes d’eux. Que l’on cesse d’étudier de telles institutions au nom du bonheur, et plus encore de la raison – entre le système métrique et les réformes du Code Civil – leur vraie nature se révèle ; elles sont la règle d’un immense couvent, où la cocarde remplace la croix... le laconisme qu’il veut imposer est celui des Ordres.

« Il appelle institutions les moyens de former cette conscience qui n’est pas seulement celle de la justice, quoi qu’il en dise. Il croyait les trouver à Sparte ; il les eût trouvés dans l’Église.

« ... les forces de Saint-Just se conjuguent pour découvrir dans la confusion des événements l’étoile fixe qu’il appelle République. Napoléon l’appellera la sienne ; Lénine, le prolétariat ; Gandhi, l’Inde ; le général de Gaulle, la France. »

« Ôte ta moustache on t'a reconnu », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LES FELLAGHAS PARTOUT (24 février 1955)


Il y a quelques jours la presse révélait que sur le corps d’un chef terroriste abattu dans l’Aurès on avait trouvé deux mandats envoyés de France, d’une valeur totale de un million.

La semaine dernière, deux ouvriers originaires de Batna devaient quitter l’usine parisienne qui les employait, après qu’on les eut accusés de financer les rebelles en campagne par des mandats qu’ils expédiaient dans leur pays.

Quand on sait que presque tous les Algériens qui travaillent en France font vivre sur leur salaire les familles qu’ils laissent en Algérie (en réalité, c’est pour cela qu’ils ont dû venir en France), on se rend compte de l’utilité d’une telle provocation, applicable en tous lieux contre les éléments suspects à la direction.

Nos camarades algériens devront signaler autour d’eux cette manœuvre, dont la surprise paraît être la principale condition de succès.


« Les Fellaghas partout », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

TOUT ORDRE NEUF (J. FILLON, 24 février 1955)


Tout ordre neuf est considéré comme un désordre et traité comme tel. Les premiers essais de « métagraphie libérée » furent effectués par G.-E. Debord et moi-même durant l’automne 1951.

Convaincus que nous étions sur la bonne voie par quelques succès probants, nous persévérâmes et obtînmes en octobre dernier, trois ans après presque jour pour jour, les résultats tangibles que nous escomptions. Ces résultats, encore bien loin de nous satisfaire complètement, nous ont cependant permis de faire un grand pas dans l’évolution de la forme.

Malgré sa puissance intrinsèque de rayonnement, l’écométagraphie inhérente à la matière restait jusqu’à ce jour absolument spécifique. Plus généralement employée sous l’appellation tronquée de « métagraphie », l’écométagraphie est la discipline considérant l’art métagraphique comme une branche de l’économie et son œuvre comme un simple bien échangé pour d’autres biens dans un circuit intégral de marchandises – Notre but était de la rendre volatile et d’élargir son champ par la volonté même de l’image, et non par un caprice expérimental.

Le terrain envisagé pour la première expérience fut plat et caractérisé par l’absence de corps supra-naturels (ces deux conditions ne devront évidemment jamais être absolues). Le problème du jeu de l’ombre et de la lumière, base de toute métagraphie tridimensionnelle, se pose immédiatement ; la luminosité employée à cet effet doit être intensive et soutenue. Le premier écueil réside donc dans la captation des polarisants ; il peut être résolu par le procédé de l’héliographie qui permet d’obtenir, à certaines heures et suivant le méridien, une amplitude normalisée suffisamment vaste, et à partir de laquelle on peut effectuer avec satisfaction une première simplification des éléments.

Pour plus de compréhension de ce qui va suivre, je prendrai une amplitude étalon normalisée de (10) (15). Imaginant que dans ce premier cas la normalisation soit réalisée par un moyen artificiel plus maniable (infra-rouge sur-puissant, ultra-violet, etc.), j’obtiens après simplification des éléments un plan polarisé de 150 m2. D’ores et déjà je peux intégrer les clefs sensorielles correspondantes à la structure géologique, que j’appellerai pour l’exemple qui nous intéresse structure « sculptographique » La sculptographie est évidemment le travail le plus intéressant, mais aussi le plus délicat. Chaque élément nouveau inséré devra répondre parfaitement à la projection que l’on désire obtenir : ombre portée ou image. Ils doivent être absolument indépendants entre eux, le premier du second, le troisième du quatrième, et ainsi de suite jusqu’à concurrence de six, maximum que peut supporter une surface de 150 m2.

Ce nombre de six clefs sensorielles n’est pas choisi au hasard, les différentes expériences qui motivèrent ce choix, je le rappelle, furent réalisées par le procédé de l’héliographie, donc en plein air ; procédant sous l’abri, l’on doit tenir compte d’une atténuation de 30 % ce qui représente environ 72 à 75 décibels. Une amplification appréciable ne pouvant déjà être envisagée, on a intérêt à travailler sous une polarisation réduite, afin que la diminution de l’amplification aux fréquences élevées ne soit pas trop grande. (Le néon ordinaire doit pouvoir amplifier uniformément toutes les fréquences.) Il est donc normal de calculer la hauteur des normalisateurs en fonction de la surface polarisée.

Cette première partie ou « période intentionnelle » terminée, la créativité multiplicatrice sera réalisée comme habituellement sur l’écométagraphie primaire plane, en tenant évidemment compte de sa nouvelle trivalence.

Dans un prochain numéro de Potlatch j’entreprendrai les révolutions économiques qu’entraînent la découverte et l’évolution de la métagraphie libérée ou tridimensionnelle.

Jacques FILLON, « Tout ordre neuf », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

Saturday, May 17, 2008

LA VALEUR ÉDUCATIVE (G.-E. DEBORD, 26 janvier 1955 - 24 février 1955 - 23 mars 1955)


LA VALEUR ÉDUCATIVE (I)

Voix 1 : Parlons de la pluie et du beau temps, mais ne croyons pas que ce sont là des futilités ; car notre existence dépend du temps qu’il fait.

Voix 2 (jeune fille) : Tamar prit les gâteaux qu’elle avait faits et les apporta à Amnon, son frère, dans la chambre. Elle les lui offrit pour qu’il les mangeât ; mais il se saisit d’elle, et lui dit : « Viens dormir avec moi, ma sœur. » Elle lui répondit : « Non, mon frère, ne me fais pas violence ; ce n’est pas ainsi qu’on agit en Israël. Ne commets pas cette infamie ! Où irais-je, moi, porter ma honte ? Et toi, tu serais couvert d’opprobre en Israël. Parle plutôt au roi, je te prie ; il ne t’empêchera pas de m’avoir pour femme. » Mais il ne voulut point l’écouter, et il fut plus fort qu’elle ; il lui fit violence et il abusa d’elle.

Voix 3 : Sur quoi donc repose la famille actuelle, la famille bourgeoise ? Sur le capital, sur l’enrichissement privé. Elle n’existe en son plein développement que pour la bourgeoisie. Mais elle a pour corollaire la disparition totale de la famille parmi les prolétaires, et la prostitution publique.
La famille des bourgeois disparaîtra, cela va sans dire, avec le corollaire qui la complète ; et tous deux disparaîtront avec le capital.

Voix 1 : Bernard, Bernard, cette verte jeunesse ne durera pas toujours. Cette heure fatale viendra, qui tranchera toutes les espérances trompeuses par une inexorable sentence. La vie nous manquera comme un faux ami au milieu de toutes nos entreprises. Les riches de cette terre qui jouissent d’une vie agréable, s’imaginent avoir de grands biens, seront tout étonnés de se trouver les mains vides.

Voix 4 : Mais ce qui, surtout, contribuera à fortifier le climat de confiance auquel la population d’Algérie aspire, c’est la nouvelle que les opérations de police se sont déroulées avec succès, et qu’elles se soldent par 130 arrestations opérées, notamment à Khenchela : 36 terroristes ou meneurs appréhendés, soit la plus grosse partie du commando de la nuit tragique. À Cassaigne : 12 arrestations. Il est particulièrement réconfortant, au demeurant, de souligner, en ce qui concerne ce dernier centre que, sur les douze individus arrêtés, quatre ont été livrés par les fellahs de la région eux-mêmes, qui ont tenu à prendre part aux investigations, pour livrer les coupables à la justice.

Voix 2 (jeune fille) : Les placides bovins seraient à la merci des carnivores, s’ils n’avaient leur paire de cornes pour se défendre. Dans l’aquarium voisin, nous voyons d’étranges poissons dont les yeux s’agrandissent démesurément.

à suivre



*
LA VALEUR ÉDUCATIVE (II)
(suite)

Voix 4 : D’ailleurs, des renforts – parachutistes, gendarmes, C.R.S., aviation – continuent d’être répartis aux points névralgiques, prêts à participer aux opérations d’assainissement dont M. Jacques Chevallier, secrétaire d’État à la Guerre, a dit hier qu’elles pourraient demander beaucoup de temps et d’hommes.

Voix 2 (jeune fille) : Hélas ! Chacun, en Grande-Bretagne, sait que la princesse – pour des raisons d’État – ne peut s’habiller chez les couturiers français. Voici cinq ans, elle acheta plusieurs robes chez Dior. Cela provoqua un véritable scandale.

Voix 1 : De quelque illusion, de quelques conventions que la royauté s’enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s’élever et de s’armer ; elle est un de ces attentats que l’aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier.

Voix 4 : Aucun profit matériel n’attirait les hommes dans les régions polaires, mais seulement le désir désintéressé de connaître toute la terre. À force d’énergie, ils ont atteint les deux pôles.

Voix 3 : Il ne restait plus qu’à étudier l’intérieur des continents dont on connaissait les contours.

Voix 1 : Les fruits, les fleurs poussent à profusion, et au milieu de cette nature splendide les indigènes se laissent vivre nonchalamment.

Voix 4 : Les fellaghas ? Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? – Des cadres tunisiens ? On l’a dit… Et tripolitains ? Mais qu’ils bénéficient maintenant du recrutement local, ce n’est pas douteux. La plupart portent un semblant d’uniforme kaki.

Voix 1 : Ils aiment les jeux, les chants, la danse, et reçoivent les étrangers avec une hospitalité généreuse. Mais ils sont aussi de hardis, de remarquables navigateurs.

Voix 3 : Nous avons la situation bien en main, affirme le Gouverneur Général. On ne peut point régner innocemment.

(à suivre)

*


LA VALEUR ÉDUCATIVE (III)
suite et fin

Voix 4 : Le relief, le climat, les fleuves que nous avons étudiés jusqu’ici forment le cadre dans lequel vivent les êtres animés, les plantes, les bêtes, les hommes. Chaque espèce vivante s’adapte aux conditions naturelles. Mais souvent l’homme, l’être le plus actif et le plus destructeur, a modifié ces conditions et créé des paysages nouveaux.
Voix 1 : Les drapeaux rouges, frappés de l’étoile d’Ho Chi Minh, ont longuement flotté sur la ville. Les nouveaux maîtres n’oublièrent pas d’en décorer la cathédrale.

Voix 4 : Ainsi, la civilisation et les modes de vie modernes pénètrent jusqu’aux extrêmes limites des terres habitables.

Voix 3 : Autour du pôle Sud s’étend un continent montagneux.

Voix 2 (jeune fille) : Même quand je marcherais dans la vallée de l’ombre de la mort je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi.

Voix 1 : Les explorateurs ont pour ennemis le froid, le vent, l’obscurité, l’isolement.
C’est une véritable aventure qu’un départ vers ces régions. Même aujourd’hui, aidés par la T.S.F. et l’avion, les explorateurs se perdent.
Ils savent se guider d’après les étoiles, la houle, le vent. Ils ont des cartes marines faites de baguettes de bambou, indiquant les îles et les courants.

Voix 2 (jeune fille) : Je me souviens de l’amour que tu me portais au temps de ta jeunesse, au temps de tes fiançailles, quand tu me suivais au désert, sur une terre inculte... Et je t’ai fait entrer dans un pays semblable à un verger pour en manger les fruits et jouir de ses biens.

Voix 1 : Ceux qui font des révolutions dans le monde, ceux qui veulent faire le bien, ne doivent dormir que dans le tombeau.

Voix 3 : Les hommes construisent leurs maisons en vue de l’usage qu’ils veulent en faire. La même maison ne convient pas à toutes les occupations, à tous les genres de vie.
Tout ce qui n’est pas nouveau dans un temps d’innovation, est pernicieux.

Voix 1 : L’histoire des idées que prouve-t-elle, sinon que la production intellectuelle se métamorphose avec la production matérielle ?
Les idées dominantes d’un temps n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. On parle d’idées qui révolutionnent la société tout entière. On ne fait ainsi que formuler un fait, à savoir que les éléments d’une société nouvelle se sont formés dans la société ancienne ; que la dissolution des idées anciennes va de pair avec la dissolution des anciennes conditions d’existence.

Voix 2 (jeune fille) : De nos jours on travaille surtout dans de grandes usines où les machines permettent de fabriquer d’innombrables objets. L’ouvrier surveille et règle les machines ; il se cantonne dans un travail uniforme et strictement défini. La mise en marche de telles usines exige des capitaux énormes, une force motrice et une main-d’œuvre abondante, et la proximité de voies de communication commodes.


Guy-Ernest Debord

Toutes les phrases de cette émission radiophonique ont été détournées de :

Bossuet. Panégyrique de Bernard de Clairvaux.
Demangeon et Meynier. Géographie générale. Classe de sixième.
France-soir, du 5 novembre 1954.
Livres de Jérémie, des Psaumes, de Samuel.
Marx et Engels. Manifeste communiste.
Saint-Just. Rapports et Discours à la Convention.



Guy-Ernest DEBORD, « La Valeur éducative », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955/numéro 17, 24 février 1955/numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

PIRE QU'ADAMOV ! (DEBORD, 26 janvier 1955)


Un royaliste et un R.P.F. portent sur scène La Condition humaine, reportage très romancé sur l’insurrection ouvrière de Shanghaï en 1927, écrit par le R.P.F. qui à cette époque était cosmopolite.

Les personnages du R.P.F. émettent des considérations générales sur l’esthétique de l’aventure, et l’acte gratuit dans le cadre du syndicalisme.

Le R.P.F. lui-même a passé une grande partie de sa vie à s’interroger sur l’esthétique de l’aventure. Depuis il est devenu aventurier de l’esthétique.

Le royaliste est moins renommé. Mais il a ses références : il est le dernier en France à rajeunir Eschyle. On se souvient de La Course des Rois.

Dans La Condition humaine il n’y a pas de roi, mais tout de même un général, qui est encore célèbre à Formose. Et une mitrailleuse, très réussie.

Le R.P.F. n’est pas un simple néoboulangiste : il est également Nouvelle-Gauche, comme Mauriac et le président Mendès-Bonn.

Par hasard, un cinéma reprend en même temps L’Espoir, film que le R.P.F. tournait en 1938 à Barcelone. Là de très belles séquences nous ramènent comme chez nous à la guerre d’Espagne.
La pratique du témoignage et du faux-témoignage fut décevante pour ce R.P.F. qui peut déjà deviner, à certains signes, quels détails précis une immédiate postérité retiendra de tant de bruit.

G.-E. DEBORD, « Pire qu'Adamov ! », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)

LES CANONS DE L'O.T.A.N. (26 janvier 1955)


« Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous réunis. Tout à coup, il vint du ciel un bruit pareil à celui du vent qui souffle avec impétuosité ; il remplit toute la maison où ils étaient assis. Alors ils virent paraître des langues séparées les unes des autres, qui étaient comme des langues de feu, et qui se posèrent sur chacun d’eux. Ils furent tous remplis du Saint-Esprit et ils commencèrent à parler en des langues étrangères, selon que l’esprit leur donnait de s’exprimer. »

Actes des Apôtres 2 – 1

« L’injure ? Ce n’est pas ma manière. Mais il arrive qu’un écrivain ait le sens de la formule. Le trait porte. Qu’y faire ? C’est une grâce que j’ai reçue et que je vous souhaite. »

François Mauriac
Express 22 – 1
« Les Canons de l'O. T. A. N. », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)

Friday, May 16, 2008

LE SQUARE DES MISSIONS ÉTRANGÈRES (M. BERNSTEIN, 26 janvier 1955)


À la limite des sixième et septième arrondissements, ce square, cerné à très courte distance par la rue de Babylone et le boulevard Raspail, reste d’un accès difficile et se trouve généralement désert. Sa surface est assez étendue pour celle d’un square parisien. Sa végétation à peu près nulle. Une fois entré, on s’aperçoit qu’il affecte la forme d’une fourche.

La branche la plus courte s’enfonce entre des murs noirs, de plus de dix mètres de haut, et l’envers de grandes maisons. À cet endroit une cour privée en rend la limite difficilement discernable.

L’autre branche est surplombée sur sa gauche par les mêmes murs de pierre et bordée à droite de façades de belle apparence, celles de la rue de Commaille, extrêmement peu fréquentée. À la pointe de cette dernière branche on arrive à la rue du Bac, beaucoup plus active.

Toutefois le square des Missions Étrangères se trouve isolé de cette rue par un curieux terrain vague que des haies très épaisses séparent du square proprement dit. Dans ce square vague, fermé de toutes parts, et dont le seul emploi semble être de créer une distance entre le square et les passants de la rue du Bac, s’élève à deux mètres un buste de Chateaubriand en forme de dieu Terme, dominant un sol de mâchefer. La seule porte du square est à la pointe de la fourche, à l’extrémité de la rue de Commaille.

Le seul monument du lieu contribue encore à fermer la rue et à interdire l’accès du square vague. C’est un kiosque d’une grande dignité qui tend à donner toutes les impressions d’un quai de gare et d’un apparat médiéval. Le square des Missions Étrangères peut servir à recevoir des amis venant de loin, à être pris d’assaut la nuit, et à diverses autres fins psychogéographiques.

Michèle BERNSTEIN, « Le Square des Missions Étrangères », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 16, 26 janvier 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 de la Montagne-Geneviève, Paris 5e)

Thursday, August 23, 2007


Lorsqu'un écrivain écrit un roman, il doit créer des gens qui vivent ; des gens, non des caractères. Un "caractère" est une caricature. Si l'auteur peut faire vivre des gens, il pourra n'y avoir aucun grand caractère dans son livre, mais il est possible que son livre demeure une œuvre complète, un tout, un roman.
Si les gens que fabrique l'écrivain parlent de vieux maîtres, de musique, de peinture moderne, de lettres ou de science, ils doivent, dans le roman, parler de ces sujets. S'ils ne parlent pas de ces sujets et que l'écrivain les en fasse parler, c'est un imposteur ; et s'il en parle lui-même pour montrer tout ce qu'il sait, alors c'est de la vantardise. Si parfaite que soit la phrase ou la comparaison qu'il a trouvée, s'il la place là où elle n'est pas absolument nécessaire et irremplaçable, il gâte toute son œuvre par égoïsme. La prose est architecture, et non décoration intérieure, et le Baroque est fini.
Pour un écrivain, mettre ses propres rêveries intellectuelles, qu'il aurait pu vendre à bas prix sous forme d'essais, dans la bouche de caractères artificiellement construits, qui sont plus rémunérateurs une fois présentés comme des gens véritables dans un roman, c'est de la bonne économie, peut-être, mais cela ne fait pas de la littérature. Les personnages d'un roman doivent être, non pas des "caractères" habilement construits, mais des créatures projetées de l'expérience assimilée par l'écrivain, de sa connaissance, de sa tête, de son cœur et de tout ce qui est part de lui. Avec de la chance, et en s'y appliquant sérieusement, s'il réussit à les tirer tout entiers de lui, ils auront plus d'une dimension, et ils dureront longtemps.
Un bon écrivain doit connaître chaque chose d'aussi près que possible. Ce n'est pas naturellement qu'il y parviendra. Un auteur de quelque envergure semble être né avec son savoir. Mais ce n'est pas du tout vrai ; il est seulement né avec l'aptitude à apprendre plus vite, à temps égal, que les autres hommes, sans être obligé à une application consciente, et avec une intelligence qui lui permet d'accepter ou de rejeter ce qui lui est déjà présenté comme savoir acquis. Il y a certaines choses qu'on ne peut apprendre rapidement, et pour les acquérir il nous faut payer lourdement de notre temps, qui est tout ce que nous possédons. Ce sont les choses les plus simples, et, comme il faut toute une vie humaine pour les connaître, la petite connaissance nouvelle que chaque homme tire de la vie lui est très coûteuse, et c'est le seul héritage qu'il ait à laisser. Chaque roman écrit avec vérité contribue au savoir total qui est à la disposition de l'écrivain suivant, mais l'écrivain suivant doit payer, toujours, un certain pourcentage de sa propre expérience, pour être capable de comprendre et d'assimiler ce qui lui revient par droit de naissance et dont, à son tour, il doit faire son point de départ.
Si un prosateur connaît assez bien ce dont il écrit; il pourra omettre des choses qu'il connaît ; et le lecteur, si l'écrivain écrit assez avec de vérité, aura de ces choses un sentiment aussi fort que si l'écrivain les avait exprimées. La majesté du mouvement d'un iceberg est due à ce qu'un huitième seulement de sa hauteur sort de l'eau. Un écrivain qui omet certaines choses parce qu'il ne les connaît pas ne fait que mettre des lacunes dans ce qu'il écrit. Un écrivain qui se rend si peu compte de la gravité de son art qu'il ne s'inquiète que de montrer aux gens qu'il a reçu une bonne éducation, qu'il est cultivé ou bien élevé, est simplement un jacasseur. Et souvenez-vous aussi de ceci : il ne faut pas confondre écrivain sérieux et écrivain solennel. Un écrivain sérieux peut être un épervier ou une buse, ou même un perroquet, mais un écrivain solennel n'est jamais qu'un vilain hibou.
(…)

La grande chose, c'est de durer, de faire son travail, de voir, d'entendre, d'apprendre et de comprendre ; et écrire lorsqu'on sait quelque chose, et non avant ; ni trop longtemps après. Laissez faire ceux qui veulent sauver le monde si vous, vous pouvez arriver à le voir clairement et dans son ensemble. Alors chaque détail que vous exprimez représentera le tout, si vous l'avez exprimé en vérité. La chose à faire, c'est de travailler et d'apprendre à exprimer. Non, ce n'est pas assez pour faire un livre, mais pourtant il y avait plusieurs petites choses à dire. Il y avait plusieurs choses d'ordre pratique à dire.
Ernest HEMINGWAY, Mort dans l'après-midi, 1932

Monday, August 13, 2007


Le maître est la conscience qui est pour soi, et non plus seulement le concept de cette conscience. Mais c’est une conscience étant pour soi, qui est maintenant en relation avec soi-même par la médiation d’une autre conscience, d’une conscience à l’essence de laquelle il appartient d’être synthétisée avec l’être indépendant ou la choséité en général. Le maître se rapporte à ces deux moments, à une chose comme telle, l’objet du désir, et à une conscience à laquelle la choséité est l’essentiel. Le maître est :
1) comme concept de la conscience de soi, rapport immédiat de l’être-pour-soi, mais en même temps il est :
2) comme médiation ou comme être-pour-soi, qui est pour soi seulement par l’intermédiaire d’un Autre et qui, ainsi, se rapporte :
a) immédiatement aux deux moments,
b) médiatement à l’esclave par l’intermédiaire de l’être indépendant ; car c’est là ce qui lie l’esclave, c’est là sa chaîne dont celui-ci ne peut s’abstraire dans le combat ; et c’est pourquoi il se montra dépendant, ayant son indépendance dans la choséité. Mais le maître est la puissance qui domine cet être, car il montra dans le combat que cet être valait seulement pour lui comme une chose négative ; le maître étant cette puissance qui domine cet être. Pareillement, le maître se rapporte médiatement à la chose par l’intermédiaire de l’esclave ; l’esclave comme conscience de soi en général, se comporte négativement à l’égard de la chose et la supprime ; mais elle est en même temps indépendante pour lui, il ne peut donc par son acte de nier venir à bout de la chose et l’anéantir ; l’esclave la transforme donc par son travail. Inversement, par cette médiation le rapport immédiat devient pour le maître la pure négation de cette même chose ou la jouissance ; ce qui n’est pas exécuté par le désir est exécuté par la jouissance du maître ; en finir avec la chose ; mais le maître, qui a interposé l’esclave entre la chose et lui, se relie ainsi à la dépendance de la chose, et purement en jouit. Il abandonne le côté de l’indépendance de la chose à l’eclave, qui l’élabore.

G.W.F. Hegel, La Phénoménologie de l’Esprit, 1806-1807