Wednesday, June 11, 2008

ENCORE LA JEUNESSE POURRIE (29 avril 1955)


Le dernier film de Duvivier Marianne de ma jeunesse unit la plus grande sottise à une funeste abjection morale. L’anecdote, hideusement plagiée du Grand Meaulnes, accumule les poncifs éculés du scoutisme et du parachutisme : dans un manoir-collège de Bavière, un grand dadais en culottes courtes, M. Pierre Vaneck, qui a depuis trouvé sa vraie place au Grand-Guignol, séduit tout le monde par ses récits sur l’élevage des chevaux en Argentine, et son art franciscain d’apprivoiser les oiseaux et les biches de passage. Il est naturellement poète. Il rencontre donc dans le manoir d’en face la Femme mystérieuse-inaccessible-magique-triste sous les traits de Mlle Marianne Hold, qui a une tête à aimer Gilbert Bécaud. (D’ailleurs celui-ci, enthousiasmé par le film, vient de faire quelques couplets sur ce titre, dit-on.) Il y a naturellement des obstacles puissants et occultes à leurs amours toutes idéales, à parfum irrécusable de christianisme. Marianne est de l’autre côté d’un lac ; elle déraisonne beaucoup ; on l’enlève ; des dogues sont charmés par le poète ; on l’assomme ; le condisciple pédérastique cherche en barque le poète ; celui-ci va courir le monde pour retrouver Marianne. Ça fera peut-être un autre film.

Le plus grand scandale est l’histoire d’une très jeune fille, nièce du directeur du collège, qui a eu l’imprudence de s’éprendre de l’écolier-poète. De temps à autre elle se déshabille en sa présence. Naturellement il la dédaigne, puisqu’elle est là et qu’il est amoureux de la Femme inaccessible-magique-mystérieuse-triste qui a l’avantage d’être lointaine et, au sens où l’entendent ces voyous, pure. Cette petite fille, qui mourra piétinée par une horde de biches fanatisées par le doux poète (du moins c’est l’explication apparemment la plus rationnelle), est fort bien jouée par Mlle Isabelle Pia. Il est à noter en passant que la même Isabelle Pia est tout simplement affreuse sur des photos récentes de la Nuit de Saint-Cyr, où on la voit s’afficher entre deux officiers récemment promus. Ce film, décidément, finit mal.

Et surtout Duvivier, le père des célèbres Don Camillo, n’a pas risqué à moitié la compilation des « prestiges poétiques de l’adolescence ». Il a osé mêler à son sale travail les châteaux de Louis II de Bavière, dont il a peu usé pour le tournage, mais énormément pour la publicité de son œuvre malsaine.

Ce procédé seul suffirait à justifier notre indignation, et à renforcer notre assurance que, plus tard, une censure intelligente interdira des films de cette espèce.
« Encore la jeunesse pourrie », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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