Wednesday, June 11, 2008

LE GRAND ÂGE DU CINÉMA (29 avril 1955)

Les critiques cinématographiques aiment, de métier, le Cinéma. Ils aiment un certain Cinéma, à l’exclusion de tous les autres Cinémas possibles. Mais, là comme ailleurs, on se lasse : ils voudraient un relatif renouvellement. Ils ont les meilleures raisons de savoir que ce renouvellement est impossible dans les cadres du Cinéma qu’ils estiment et qui les nourrit. Depuis plusieurs années ils jouent à attendre un peu de nouveau, ils jouent la déception, ils jouent l’étonnement.

Depuis plusieurs années il est apparent, aussi pour le Cinéma, que la maîtrise d’une technique, quand elle a parcouru tout le champ possible des découvertes, ne peut rien donner qu’une virtuosité à suivre des règles admises, comme aux Échecs. Cela n’empêche pas nos critiques de feindre la désillusion, ou même l’indignation, en constatant que Clouzot, pour ses Diaboliques n’a fait que mettre une grande connaissance des recettes du film au service d’un passe-temps parfaitement vide de sens. Ou que le dernier Hitchcock (mais enfin, qu’attendaient-ils de Hitchcock ?) ouvre une fenêtre parfaitement gratuite sur une cour totalement insignifiante.

En commençant cette campagne de dépréciation contre quelques-uns de leurs dieux qui, après tout, sont fort capables de leur faire passer agréablement deux heures, les piliers de la religion industrielle-cinématographique donnent les premiers signes de l’épuisement intellectuel qui se manifeste toujours, à la longue, parmi les théoriciens des idéologies concrètement mortes. Bientôt, ils devront se faire plus modestes pour continuer ce métier. Ils admettront peut-être que le Cinéma n’est qu’un spectacle répété à l’infini, comme la messe ou les parties de football.

L’état réel de leur art aujourd’hui, nous l’avions signalé dès avril 1952 dans un tract diffusé au 5e Festival de Cannes, et intitulé Fini le Cinéma Français. Ce n’est pas un argument contre notre position – ce serait plutôt un argument pour – ce fait que nos tentatives de bouleversement dans ce domaine se sont heurtées à l’opposition générale des milieux qui dominent la distribution et même, quand il a fallu, à la Censure.

Depuis cette époque la médiocrité continue de notre Cinéma « atlantique », et même quelques hilarantes tentatives de restauration du style Cocteau, nous ont donné raison. La 8e foire qui s’ouvre ces jours-ci à Cannes sera détestable. Nous prenons un certain plaisir à le constater à l’avance.
« Le Grand âge du cinéma », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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