Wednesday, June 11, 2008

APOTHÉOSE D'UN VEAU (M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, 23 mars 1955)


Le rôle de l’avant-garde en Espagne se trouve être, plus que partout ailleurs, dans la dépréciation des valeurs idéologiques officielles. M. Claudio Colomer Marquès, à qui « l’intellectualisation de certains secteurs de la jeunesse espagnole apparaît comme un fait anachronique et dénué de sens », explique logiquement ce péril dans l’hebdomadaire El Español :


« Dans l’ordre social, toute pensée mue par le stimulant de l’originalité est funeste et subversive... l’intellectuel est un individu qui change l’ordre naturel et logique des attirances de l’intelligence... Nous croyons que l’Espagne a besoin, comme les plus importants pays du monde, d’une jeunesse intelligente, active, professionnelle et sportive. »


Mais si la philosophie de la classe dominante dispose, contre nos camarades espagnols, d’un arsenal d’interdictions plus ouvertement policières que dans le reste de l’Europe, du moins se trouve-t-elle au stade où elle ne ressent plus le besoin d’entretenir des succursales de diversion, du genre Sartre ou Mendès.


La pensée qu’il s’agit de renverser règne seule, à un degré d’inconséquence et de faiblesse dont témoigne cet hommage des grands propriétaires terriens, des maîtres de l’Espagne, à leur production la plus réussie :


« Dans l’église de Jésus de Medinaceli, et par une messe au Saint-Esprit présidée par le délégué national du Syndicat, a été inauguré le Premier Congrès National de l’Élevage, auquel participaient 3 100 éleveurs et 1 000 entrepreneurs, représentants de l’industrie et du commerce...


« Ensuite le chef national du Syndicat de l’Élevage prononça un discours, dans lequel, après avoir salué les assistants, il dit :


“... Ce congrès ne sera pas du verbalisme ; de la démagogie non plus. Son caractère transcendantal ira assez loin dans la conscience de tous les Espagnols...


« Et sachant que les éleveurs sont rassemblés, je veux au nom de tous, offrir notre hommage au grand homme d’état, le Caudillo d’Espagne, Francisco Franco. Avec Franco et pour l’Espagne se lèvent les éleveurs espagnols, et de même que dans les temps impériaux le Conseil de la Mesta avait pour symbole insigne de ses privilèges la majesté du Roi, aujourd’hui, nous, la totalité des éleveurs d’Espagne, nous offrons à notre Caudillo la présidence d’honneur du cheptel espagnol, encadré par l’institution du Syndicat National de l’Élevage, dans cette Espagne glorieuse, qui est redevenue un royaume grâce à l’épée et à la majesté du commandement de Francisco Franco. Franco possède une conception quasi frénétique de l’avenir. Il a la juste appréciation en degré et en ligne du complexe mouvement d’action et de réaction des passions humaines, il a l’intuition du calendrier du futur, voyant dans l’obscurité du destin le fait qui se cache encore dans ses entrailles. Il connaît exactement la force morale disponible pour forger ou précipiter chaque nouveauté. Il domine l’estimation exacte des capacités latentes en la communauté espagnole pour arriver à un but précis. Franco soit notre conducteur en l’anxiété créatrice des éleveurs espagnols !...”


« À la fin de son brillant discours, M. Aparicio fut très applaudi par tous les membres de l’assemblée. »


Hoja de Lunes, Barcelone

pour l’Internationale lettriste :


Michèle Bernstein, Jacques Fillon, Véra.


M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, « Apothéose d'un veau », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

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