LE GRAND JEU À VENIR
La nécessité de construire rapidement, et en grand nombre, des cités entières, nécessité qu'entraînent l'industrialisation des pars sous-développés et la crise aiguë du logement depuis la guerre, a mené à une position centrale de l'urbanisme parmi les problèmes actuels de la culture. Nous allons même jusqu'à considérer tout développement dans cette culture comme impossible sans de nouvelles conditions de notre entourage quotidien. L'urbanisme doit envisager de telles conditions. Il faut tout d'abord constater que les premières expériences qu'ont entreprises des équipes d'architectes et sociologues se sont arrêtées devant une impuissance de l'imagination collective que nous ten ons pour responsabie de l'approche limitée et arbitraire de ces expériences. L'urbanisme, tel que le conçoivent les urbanistes professionnels d'aujourd'hui, est réduit à l'étude pratique du logement et de la circulation, comme des problèmes isolés. Le manque total de solutions ludiques dans l'organisation de la vie sociale empêche l'urbanisme de s'élever au niveau de la création, et l'aspect morne et stérile de la plupart des quartiers nouveaux en témoigne atrocement.
Les situationnistes, explorateurs spécialisés du jeu et des loisirs, comprennent que l'aspect visuel des villes ne compte qu'en rapport avec les effets psychologiques qu'il pourra produire, et qui devront être calculés dans le total des fonctions à prévoir. Notre conception de l'urbanisme n'est pas limitée à la construction et à ses fonctions, mais aussi à tout usage qu'on pourra en faire, ou même en imaginer. Il va de soi que cet usage devra changer avec les conditions sociales qui le permettent, et que notre conception de l'urbanisme est donc tout d'abord dynamique. Aussi nous rejetons cette mise en place de bâtiments dans un paysage fixé qui passe maintenant pour le nouvel urbanisme. Au contraire, nous pensons que tout élément statique et inaltérable doit être évité, et que le caractère variable ou meuble des éléments architecturaux est la condition d'une relation souple avec les événements qui y seront vécus.
Étant conscients de ce que les loisirs à venir, et les nouvelles situations que nous commençons à construire, doivent profondément changer l'idée de fonction qui est au départ d'une étude urbaniste, nous pouvons déjà élargir notre connaissance du problème par l'expérimentation de certains phénomènes liés à l'ambiance urbaine: l'animation d'une rue quelconque, l'effet psychologique de diverses surfaces et constructions, le changement rapide de l'aspect d'un espace par des éléments éphémères, la rapidité avec laquelle l'ambiance des endroits change, et les variations possibles dans l'ambiance générale de divers quartiers. La dérive, telle que la pratiquent les situationnistes, est un moren efficace pour étudier ces phénomènes dans les villes existantes, et pour en tirer des conclusions provisoires. La notion psychogéographique ainsi obtenue a déjà mené à la création de plans et de maquettes d'un type imaginiste, qu'on peut appeler la science-fiction de l'architecture.
Les inventions techniques qui sont actuellement au service de l'humanité joueront un grand róle dans la construction des cités-ambiances à venir. Il est notable et significatif que ces inventions, jusqu'à présent, n'aient rien ajouté aux activités culturelles existantes, et que les artistes-créateurs n 'aient rien su en faire. Les possibilités du cinéma, de la télévision, de la radio, des déplacements et communications rapides, n'ont pas été utilisées et leur effet sur la vie culturelle a été des plus misérables. L'exploration de la technique et son utilisation à des fins ludiques supérieures sont une des taches les plus urgentes pour favoriser la création d'un urbanisme unitaire, à l'échelle qu'exige la société future.
CONSTANT, « Le grand jeu à venir », Potlatch. Informations intérieures de l'Internationale situationniste, no 30, 15 juillet 1959, nouv. série, no. 1
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