INTRODUCTION AU CONTINENT CONTRESCARPE (IVAN CHTCHEGLOV, Janvier 1954)
Il y aurait bien des choses à dire sur cet été.
A l’orée du matin, ces monuments ouverts, ces rues navigables, ces dimensions dévoyées, elles sont pour toi qui ne les as pas connus. Et la chambre qui dit tant et ne conserve rien.
Vivace la forêt dormante s’écarte au retour du prince mais la belle ne peut la traverser. Si l’on connaît aujourd’hui les démarches d’approche du Châteaux, pourtant les moyens d’en extraire la femme demeurent dangereux pour elle. Les appels entendus, les signaux repérés et la quête résolue – la chambre enfin percée à jour par le matin du monde – la sortie de la femme dans la vie devient une entreprise autrement plus périlleuse. La grande banlieue réveillée converge et se referme atrocement sur elle.
La recherche de l’homme vers le centre est facile, celle du couple vers la périphérie ne l’est pas.
Au delà des symboliques déjà connues, je veux reconnaître dans le Bois Dormant la figuration évidente de la GÉOGRAPHIE.
***
J’ai aimé les films pour leur géographie. Les Enfants du Paradis, et le Boulevard du Crime. Les Chaussons Rouges, « aux marches de l’Opéra ». C’était ma vie. Plus tard, j’ai rencontré les décors et leurs personnages, et mes aventures. Tout s’est bien passé comme en rêve. Le temps n’est pas ce que l’on croit.
Les problème économiques résolus, le destin est géographique.
La première fois que je pris conscience d’un déterminisme contraire, c’était avec Laura. Nous avions décidé de quitter pour une nuit l’hôtel au bord de la mer pour aller « sur les hauteurs d’une autre ville » (dernièrement, j’ai identifié ce lieu, avec Guy. C’est le village de l’oubli, dans Juliette ou la Clef des Songes, de Carné. Nous en reparlerons). La décision était d’un arbitraire rare, elle nous parut plutôt chargée d’un choix très lourd de sens, au delà des kilomètres de la carte.
L’employé déclara qu’il n’y avait plus d’autocars. Une violente dispute s’ensuivit, et elle s’enfonça dans le noir d’un cinéma qui jouait, si j’ai bonne mémoire, Boulevard du Crépuscule. Je retournerai à la station, il y avait des cars. L’employé s’était trompé. C’était irréparable à jamais.
Nos aventures ressemblent aux boules magnétisées des billards électriques, aux trajectoires irresponsables, et pourtant calculables.
C’est pourquoi, au cœur de l’été 53, errant dans les petites rues derrière le Panthéon, et buvant des verres dans des bistrots de campagne, j’écoutais avec intérêt Guy me parler d’un ancien projet de billard électrique, dont le titre était quelque chose comme : Tentative de description métagraphique des sensations thermiques et des désirs des gens qui passent devant les grilles de Cluny une heure environ après le coucher du soleil – et qui me semblait d’un art plein d’avenir. Nous avions des ponts communs, bien décidés tous les deux à détraquer la mécanique pour vois ce qu’elle avait dans le ventre.
Il nous fallait découvrir des lois nouvelles par l’expérimentation. L’exploration d’un continent s’imposait. Nous en avions justement un sous la main, et à peu près vierge. Il s’agissait d’un continent qui me sembla presque ovale, et dont la forme ressemble aujourd’hui sur les cartes à celle du Chili : la Contrescarpe et ses dépendances départementales.
Gilles IVAIN.
Janvier 1954
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