Friday, March 23, 2007

DU MOI ET DU MERVEILLEUX


Le moi : un anneau d'une étrange lignée de progéniture, plus qu'un mélange, un cristal composite, l'aboutissement de plus de courants et de plus de sangs que l'on ne peut savoir, le fruit de centaines de rencontres insolites rendues possibles, certes, par le flux et le reflux des nations, par l'émigration et les conquêtes, mais rencontres plus mystérieusement liées au jeu des passions, maintenant oubliées et néanmoins inscrites dans les profondeurs du destin particulier. Et dans le moi, souvent, surgissent, comme des fantômes, les ancêtres effacés par le temps. Derrière le rideau de la conscience avouée, un tumulte d'hommes casqués, de femmes auréolées, qui ne conservent, comme dans les obscures fresques siennoises, qu'une partie de leur visage ; l'autre, depuis longtemps, a été mangée par la mousse de l'ombre. (...)

Le Merveilleux exprime le besoin de dépasser les limites imposées, imposées par notre structure, d'atteindre une plus grande beauté, une plus grande puissance, une plus grande jouissance, une plus grande durée. Il veut dépasser les limites de l'espace, celles du temps, il veut détruire les barrières, il est la lutte de la liberté contre tout ce qui la réduit, la détruit et la mutile ; il est tension, c'est-à-dire quelque chose de différent du travail régulier et machinal : tension passionnelle et poétique.

Le Merveilleux profite des points de faiblesse de l'intelligence organisatrice, comme le feu du volcan s'insinue entre les failles des roches ; il illumine les greniers de l'enfance ; il est étrange lucidité du délire ; il est la lumière du rêve, l'éclairage vert de la passion ; il flambe au-dessus des masses aux heures de révolte.


Pierre MABILLE, Le Merveilleux, août 1944

0 Comments:

Post a Comment

<< Home