Thursday, March 22, 2007

SAVOIR-VIVRE (I)




Précise et méticuleuse comme une étiquette de cour, la politesse qui ritualise les rapports mutuels des hommes dans leurs aspects secondaires, en décharge l'esprit du fait même et accroît d'autant son aisance. De plus, elle contribue au maintien d'une certaine tension intérieure qu'on aurait peine à conserver si l'on négligeait la simple tenue. Dans une association de type fermé, destinée à aggraver les séparations, la politesse fait partie de l'éthique et devient presque une institution. Codifiant des relations d'initiés, son caractère révolutionnaire et conventionnel se trouve renforcé du fait qu'il doit servir à les différencier davantage des profanes. L'impoli, en effet, n'est pas tant celui qui néglige les usages que celui qui les ignore ou qui pratique ceux d'un autre groupe. Ainsi la politesse, façon de se reconnaître entre soi et de reconnaître les intrus, devient un moyen pratique de prendre ses distances. De fait, quand il faut manifester à quelqu'un son hostilité ou son mépris, il suffit d'affecter à son égard une politesse excessive qui le gêne comme un blâme et exclut aussitôt toute familiarité. On ne saurait oublier à ce sujet la façon si caractéristique dont certains individualistes considérables, tel Baudelaire, devinant quelle arme implacable cachait une parfaite correction, ont fait du dandysme la forme privilégiée de l'héroïsme moderne.


Roger CAILLOIS, Le Vent d'hiver, 1938

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