Thursday, March 22, 2007

PREMIER ÉNONCÉ DE LA BRÈCHE



Premier énoncé de la brèche


L'on eût dit que le langage se trouvait là comme tordu et que dans le minime écart qui séparait les deux vocables - devenus tous deux pleins d'étrangeté quand, maintenant, je les comparais l'un à l'autre (comme si chacun d'entre eux n'était que l'autre écorché et tordu) - s'ouvrait une brèche apte à laisser passer un monde de révélations.


Michel LEIRIS, Le Sacré dans la vie quotidienne, 1938


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Reconnaître en effet au langage des « pouvoirs de détection et d’exaltation » tels qu’on lui attribue « une importance presque religieuse », le traiter en « moyen de révélation », mènent à un usage poétique du langage. La poésie n’est pas un « sésame » et il est mille façons d’être poète, mais quand on l’est à la façon de Michaux, d’Artaud ou de Leiris après L’Âge d’homme (pour ne pas parler de quelques autres), l’arrangement des mots qui aboutit au discours transforme quelque chose dans l’ordre du monde par une action sur les consciences : celle qui le formule et celles qui l’entendent. Il est la brèche par où s’engouffre un moment d’éternité dans un monde qui roule obscurément vers sa perte.


Maurice NADEAU, « Prestige de Michel Leiris », Les Lettres Nouvelles, no. 33, décembre 1955

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