Wednesday, March 21, 2007

EXERCICE DE LA PSYCHOGÉOGRAPHIE I : PIRANESE



Psychogéographique dans l'escalier

Puits de l'Inde ! Tombeaux ! Monuments constellés !
Vous dont l'intérieur n'offre aux regards troublés
Qu'un amas tournoyant de marches et de rampes,
Froids caveaux, corridors où rayonnent des lampes,
Poutres où l'araignée a tendu ses longs fils,
Blocs ébauchant partout de sinistres profils ;
Toits de granit, troués comme une frêle toile,
Par où l'oeil voit briller quelque profonde étoile
Et des chaos de murs, de chambres, de paliers,
Où s'écroule au hasard un gouffre d'escaliers !
Cryptes qui remplissez d'horreur religieuse
Votre voûte sans fin, morne et prodigieuse !
Cavernes où l'esprit n'ose aller trop avant !
Devant vos profondeurs j'ai pâli bien souvent
Comme sur un abîme ou sur une fournaise
Effrayantes Babels que rêvait Piranèse !


Victor HUGO, Les Rayons et les Ombres, 1840


***


Ç'a été jusqu'ici une contradiction essentielle à l'esprit de l'homme que de porter à l'absolu et de dresser à chaque fois et contre soi les images que peuvent immédiatement lui fournir les actes de sa création : l'action créatrice elle-même ou, au contraire, les produits créés ; ramenant toutes choses à ces images prises pour types fondamentaux d'explication ou métaphores obsédantes, il tente de se représenter lui-même, et finalement de s'accabler, au milieu de ce décor détaché de lui et sous forme de mythes plus ou moins crus. Entre Dieu et la machine, l'homme tire sa ligne bien mince et n'atteint qu'en de très rares occasions un équilibre perpétuellement menacé.

L'histoire, le recul du temps ne permettent plus guère de faire des époques dites « classiques » une exception à cette oscillation où le concept - sans doute mythe, lui aussi - de « l'homme en tant qu'homme » risque à chaque fois de s'affaisser. L'équilibre classique qu'on veut bien appeler « humanisme » et où l'homme serait au niveau des formes où il vit et pense, révèle vite le provisoire de son instabilité. Piranèse, en tout cas, le dévoile absolument. (...)

Je ne fais pas seulement allusion au caractère emporté de Piranèse, mais à cette impatience d'un accomplissement total, à ce désir d'amener tout à bout, et que la ruine soit ruine absolument, et que la plénitude fasse éclater ce goût de néant qui en commande tous les progrès, et que l'homme finisse accablé sous un entassement de pierres dont on ne saurait dire s'il est construction ou décombres.


Henri-Charles PUECH, « Les Prisons de Jean-Baptiste Piranèse », DOCUMENTS, no. 4, 1930

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