Wednesday, June 20, 2007

PIN YIN CONTE VACHÉ (6 juillet 1954)




La grande vogue des guerres et des « lettres de guerre » nous impose de connaître les actes les plus sales d’héroïsme, comme les plus beaux témoignages de désertion.

Mais cette apologie d’une fuite à l’intérieur que furent les symboles essentiellement symboliques de Jacques Vaché (« jamais je ne gagnerai tant de guerres »), nous ne la goûtons plus ; nous choisirons la mutinerie qui gagne.

Nous savons comment se construisent les personnages. Nous n’oublions pas que Jacques Vaché a tout de même été entièrement conditionné par le système militaire du moment. (Au contraire Arthur Cravan paraît avoir réussi d’un bout à l’autre un fulgurant voyage, sans aucun des visas du siècle.)

Nous ne voulons pas contester la grandeur de la résistance individuelle de Vaché, mais, comme nous l’écrivions en octobre 1952 à propos du néfaste Chaplin-Feux-de-la-Rampe : « Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté. » (Internationale lettriste n° 1.)

Nous avouons ne juger les littératures qu’en fonction des impératifs de notre propagande : la diffusion des « Lettres » de Vaché parmi les lycéens français n’apporte que certaines formulations élégantes aux plates négations qui sont à la mode.

Cependant, par un petit livre à peu près inconnu, le Journal d’une jeune révolutionnaire chinoise (Librairie Valois, 1931), Pin Yin, une écolière de seize ans qui a suivi l’Armée Populaire dans sa marche sur Changhaï, nous a gardé ces deux mots de jeunesse rouge :

« Quant à mes parents, je ne voulais naturellement pas les quitter. Mais nous ne devons plus penser à cela, parce que la Révolution doit sacrifier un petit nombre d’hommes pour le bien et le bonheur de la grande majorité... »

On sait la fin de cette histoire ; et les vingt ans de règne du général qui se survit encore à Formose ; et les bourreaux du Kuomintang :

« ... Mais nous ne sentions nullement la souffrance, nous croyions que demain serait calme et beau : un soleil rouge comme le sang et devant nous, un grand chemin tout rempli de lumière, un beau jardin. »

La voix de Pin Yin nous parvient de cette retombée du jour où sont partis, où disparaissent – à quelle vitesse en kilomètres-seconde de la rotation terrestre ? – nos amies et nos plus sûrs complices. Les meilleures raisons, du moins, ne manqueront pas à la guerre civile.


G.-E. DEBORD, « Pin Yin contre Vaché », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 3, 6 juillet 1954

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