Tuesday, August 29, 2006

UNE AUTRE VILLE POUR UNE AUTRE VIE (CONSTANT, 1959)




La crise de l'urbanisme s'aggrave. La construction des quartiers, anciens et nouveaux, est en désaccord évident avec les modes de comportement établis, et d'autant plus avec les nouveaux modes de vie que nous recherchons. Une ambiance morne et stérile de notre entourage en résulte.

Dans les vieux quartiers, les rues ont dégénéré en autostrades, les loisirs sont commercialisée et dénaturés par le tourisme. Les rapports sociaux y deviennent impossibles. Les quartiers nouvellement construits n'ont que deux thèmes qui dominent tout: la circulation en voiture, et le confort chez soi. Ils sont la pauvre expression du bonheur bourgeois, et toute préoccupation ludique en est absente.

Se trouvant devant la nécessité de construire rapidement des villes entières, on est en train de bàtir des cimetières en béton armé ou de grandes masses de la population sont condamnées à s'ennuyer à mort. Or, à quoi servent les inventions techniques les plus étonnantes, que le monde voit à sa disposition en ce moment, si les conditions manquent pour en tirer profit, si elles n'ajoutent pas aux loisirs, si l'imagination fait défaut ?

Nous réclamons l'aventure. Ne la trouvant plus sur terre, certains s'en vont la chercher sur la lune. Nous misons d'abord et toujours sur un changement sur terre. Nous nous proposons d'y créer des situations, et des situations nouvelles. Nous comptons rompre les lois qui empêchent le développement d'activités efficaces dans la vie et dans la culture. Nous nous trouvons à l'aube d'une ère nouvelle, et nous essayons d'esquisser déjà l'image d'une vie plus heureuse et d'un urbanisme unitaire; l'urbanisme fait pour plaire.




Quartier d'une ville traditionelle. Espace quasi social: la rue. Les rues, logiquement formées pour la circulation, sont utilisées en marge comme lieu de rencontre.

Notre domaine est donc le réseau urbain, expression naturelle d'une créativité collective, capable de comprendre les forces créatrices qui se libèrent avec le déclin d'une culture basée sur l'individualisme. Nous sommes d'avis que les arts traditionnels ne pourront pas jouer de róle dans la création de l'ambiance nouvelle dans laquelle nous voulons vivre.

Nous sommes en train d'inventer des techniques nouvelles; nous examinons les possibilités qu'offrent les villes existantes; nous faisons des maquettes et des plans pour des villes futures. Nous sommes conscients du besoin de nous servir de toutes les inventions techniques, et nous savons que les constructions futures que nous envisageons devront être assez souples pour répondre à une conception dynamique de la vie, créant notre entourage en relation directe avec des modes de comportement en changement incessant.

Ville verte. Unités d'habitation isolées. Espace social minimum: les rencontres ne se font que par hasard et individuellement, dans les couloirs ou dans le parc. La circulation domine tout.


Notre conception de l'urbanisme est donc sociale. Nous nous opposons à la conception d'une villle verte, ou des gratte-ciel espacés et isolés doivent nécessairement réduire les rapports directs et l'action commune des hommes. Pour que la relation étroite entre l'entourage et le comportement se produisent, l'agglomération est indispensable. Ceux qui pensent que la rapidité de nos déplacements et la possibilité de télé-communications vont dissoudre la vie commune des agglomérations, connaissent mal les vrais besoins de l'homme. Contre l'idée d'une ville verte, que la plupart des architectes modernes ont adoptée, nous dressons l'image de la ville couverte, ou le plan des toutes et des bâtiments séparés, a fait place à une construction spatia1e continue, dégagée du sol, qui comprendra aussi bien des groupes de logements, que des espaces publics (permettant des modifications de destination selon les besoins du moment). Comme toute circulation, au sens fonctionnel, passera en dessous, ou sur les terrasses au-dessus, la rue est supprimée. Le grand nombre de différents espaces traversables dont la ville est composée, forment un espace social compliqué et vaste. Loin d'un retour à la nature, de l'idée de vivre dans un parc, comme jadis les aristocrates solitaires, nous voyons dans de telles constructions immenses la possibilité de vaincre la nature et de soumettre à notre volonté le climat, l'éclairage, les bruits, dans ces différents espaces.

Est-ce que nous entendons par cela un nouveau fonctionnalisme, qui va mettre encore plus en évidence la vie utilitaire idéaiisée? Il ne faut pas oublier que, les fontions une fois établies, le jeu leur succède. Depuis bien longtemps, l'architecture est devenue un jeu de l'espace et de l'ambiance. La ville verte manque d'ambiances. Nous voulons, au contraire, nous en servir plus consciemment; et qu'elles correspondent à tous nos besoins.

Les villes futures que nous envisageons offriront une variabilité inédite de sensations dans ce domaine, et des jeux imprévus deviendront possibles par l'usage inventif des conditions matérielles, comme le conditionnement de l'air, la sonorisation et l'illumination. Déjà, des urbanistes étudient les possibilités d'harmoniser la cacophonie qui règne dans les villes actuelles. On ne tardera pas à trouver là un nouveau domaine de création, tout comme dans bien d'autres problèmes qui vont se présenter. Les voyages dans l'espace, qui s'annoncent, pourraient influencer ce développement, parce que les bases que l'on établira Sur d'autres planètes poseront immédiatement le problème de cités abritées, qui seront, peut-être, le type de notre étude de l'urbanisme futur.


Principe d'une ville couverte. "Plan" spatial. Habitation collective suspendue; étendu sur toute la ville et séparée de la circulation, qui passe en-dessus et au-dessus.

Avant tout, cependant, la diminution du travail nécessaire pour la production, par une automation étendue, créera un besoîn de loisirs, une diversité de comportements et un changement de nature de ceux-ci, qui mèneront forcément à une nouvelle conception de 1'habitat collectif ayant le maximum d'espace social, contrairement à la conception d'une ville verte ou l'espace social est réduit au minimum. La ville future doit être conçue comme une construction continue sur piliers, ou bien comme un système étendu de constructions différentes, dans lesquelles sont suspendus des locaux pour logement, agrément, etc., et des locaux destinés à la production et à la distribution, laissant le sol libre pour la circulation et les réunions publiques. L'application de matériaux ultralégers et isolants, comme on en expérimente actuellement, permettra une construction légère et des supports très espacés. De telle manière que 1'on pourra constituer une ville de plusieurs couches : sous-sol, rez-de-chaussée, étages, terrasses, d'une étendue qui peut varier de celle d'un quartier actuel à celle d'une métropole. 11 est à noter que dans une telle ville la surface balie sera de 100% et la surface libre de 200% (parterre et terrasses), tandis que dans les villes traditionnelles les nombres sont de quelque 80% et 20%; et que dans la ville verte cette relation peut au maximum être renversée. Les terrasses forment un terrain en plein air qui s'étend sur toute surface de la ville, et qui peuvent être des terrains pour les sports, les atterrissages d'avions et d'hélicoptères, et pour l'entretien d'une végétation. Elles seront accessibles partout par des escaliers et des ascenseurs. Les différents étages seront divisés en des espaces voisinants et communiquants, artificiellement conditionnés, qui offriront la possibilité de créer une variation infinie d'ambiances, facilitant la dérive des hahitants, et leurs fréquentes rencontres fortuites. Les ambiances seront régulièrement et consciemment changées, à l'aide de tous ses moyens techniques, par des équipes de créateurs spécialisés, qui seront donc situationnistes de profession.

CONSTANT, « Une autre ville pour une autre vie », Internationale Situationniste, numéro 3, décembre 1959 (Comité de Rédaction : Asger JORN, Helmut STURM, Maurice WYCKAERT ; Directeur : G.-E. DEBORD)

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