Monday, January 22, 2007

LETTRE DE DAKAR (LOPI, Mai 1982)



LETTRE DE DAKAR
Extraits d'un ouvrage en préparation



1. Vanité, absurdité et imposture de la revendication africaniste.


La déroute finale du tiers-mondisme maintenant sanctionnée par la mise à nu et la dénonciation de l'orthodoxie marxo-situationniste matérialo-positiviste est ce qui explique le recyclage actuel des salopes de pointe dans l'africanisme remis en vogue à la faveur du retour de la religion. (Cf. le recyclage précipité et mal assuré de l'économiste tiers-mondiste Samir Amin en futurologue africaniste.) Si cette remise en vogue est bien la manifestation de cette déroute, elle est également la preuve de la supériorité de l'africanisme en tant que situationnisme propre de la société africaine moderne (cf. Ken Knabb). Alors que le tiers-mondisme se montrait comme mensonge d'un premier mensonge, falsification d'une falsification, mensonge inessentiel, mensonge de diversion, pur bluff, imposture, l'africanisme, au contraire, se présente comme mensonge immédiat du monde lui-même sur le monde, mensonge premier, mensonge essentiel.

La distinction que nous faisons entre africanisme et tiers-mondisme est plus légitime qu'elle ne peut sembler au premier abord. En effet, on pourrait penser que l'africanisme n'est que la version africaniste du tiers-mondisme puisque celui-ci se présente comme la carte de visite introduisant toutes les séparations entre nations, ethnies, races etc. et donc les séparations du style de l'africanisme. Mais ce n'est là qu'une illusion produite par le spectacle qui inverse l'ordre de leur importance réelle, pour la falsification : le plus important est présenté comme insignifiant afin qu'on le minimise, l'inessentiel tenant le devant de la scène. Chronologiquement, en tant que théorie, l'africanisme est antérieur au tiers-mondisme proprement dit et trouve ses racines dans les mouvements anti-esclavagistes philanthropiques, français et anglais des XVII` et XVIII` siècles, et connaît un début de systématisation au XIX siècle. Ce n'est qu'au xx siècle et plus précisément dans sa seconde moitié que des écrivains et hommes politiques négro-américains et les nouvelles élites africaines vont le reprendre et le réinterpréter pour les causes, objectifs et opportunités tactiques de leurs luttes pour l'émancipation raciale et celles pour la possession/l'octroi d'États indépendants. Ce sont les positions idéologiques anti-hégéliennes fondamentales de l'africanisme moderne, relégué à l'arrière-plan au cours de l'éclipse totalitaire de l'hégémonie du stalinisme — qui en incorpora divers aspects.

L'africanisme moderne se présente avec le tiers-mondisme proprement dit comme la pseudo-critique réciproque de l'un par l'autre : dans le spectacle de la fausse contestation, l'africanisme est la pseudo-critique, pour ainsi dire naturaliste, du matérialisme marxiste et le tiers-mondisme la pseudo-critique rationaliste de l'africanisme. C'est ainsi que l'on peut être, à la fois et sans contradiction, marxiste et africaniste (Ex. Paul). C'est aussi pourquoi, depuis la déroute du tiers-mondisme marxiste, toutes les salopes se rabattent en vitesse et si aisément dans l'africanisme ainsi remis en vogue. Si un quelconque Adotévi peut encore oser prétendre que personne n'a jamais dépassé la négritude, si un gros porc comme Moustapha Niasse peut torcher un stalinien borné comme Majhmout Diop, si le CERES peut fermer la gueule à Abdoulaye Fane, si un crétin comme J.-P. Faye peut faire le malin devant un stalinien éclairé comme Abib M'baye, ce n'est pas la preuve de la puissance de pensée d'un Senghor mais bien celle de l'impuissance et de la servilité de l'inintelligentsia sous-développée, qui prend seulement son cas pour une généralité. Mais surtout, ce qui permet au flic intellectuel éclectisant Adotévi d'espérer un quelconque bénéfice de cet aveu, c'est bien l'écroulement irrémédiable du tiers-mondisme. Mais la salope devra déchanter car le privilège de cette sanction ne peut revenir qu'à la théorie révolutionnaire qui les encule tous au même titre. Ce qui est, en soi, un plaisir dont nous pouvons nous contenter, pour le moment.

La pure modernité pro-situe de l'africanisme est d'emblée saisie dans sa fonction générale de pseudo-authenticité d'un monde falsifié, pseudo-nature d'un monde totalement socialisé, pseudo-usage d'un monde utilitariste, pseudo-unité d'un monde déchiré, pseudo-originalité d'un monde uniformisé, pseudo-refuge d'un monde sans refuge possible, changement sans négatif d'un monde menacé par le changement du négatif. Ce sont toutes ces pseudo-particularités, garanties par les Etats et financées par le commerce mondial que l'africanisme revend en bloc ou diluées à l'intention du grand public.

Si le retour en vogue de l'africanisme marche si bien main dans la main avec le retour de la religion, c'est que l'africanisme puise ses ressources idéologiques modernes dans l'archaïsme de ces contes et légendes de la mythologie animiste. L'animisme généralisé des populations africaines est la vérité hérétique que les religions monothéistes – les conquérants arabes musulmans et les missionnaires chrétiens arrivèrent en compagnie des commerçants et militaires ou l'étaient eux-mêmes allaient devoir se concilier afin de mettre au travail ces populations rebelles ou amorphes. Mais si le fétichisme animiste n'a jamais été vraiment vaincu, c'est qu'il est la forme bornée et finie de ce dont le fétichisme de la marchandise est l'universalité infinie. C'est la vieille cohabitation des peuples africains avec la puissance magique de la nature, puissance contenue dans et recouvrant toutes les situations de la vie sociale, cette puissance directement inséparable de celle de l'individu animiste lui-même, c'est cette vieille fréquentation qui les a, pour ainsi dire, familiarisés avec les subtilités et arguties toutes métaphysiques du fétichisme .de la marchandise, avec ses promesses jamais satisfaites de réalisation du caractère divin de l'homme. C'est pourquoi lorsqu'il devient nécessaire d'invoquer les passions de la religion au secours du tiers-mondisme mourant, il faut également soulever les passions de la marchandise et avec elles, inséparablement, la vérité hérétique du négatif moderne. C'est en quoi la canaille maraboutique, corrompue jusque dans l'âme, joue avec le feu. En organisant le spectacle du fanatisme messianique, lui-même contraint de revenir directement contre la fureur prolétarienne, l'État laïquement religieux dilapide actuellement les dernières ressources de son autorité. Nous aurons l'occasion d'y revenir, arguments et preuves à l'appui.

Le mensonge africaniste sur le passé de l'Afrique est identiquement le mensonge sur la réalité de son présent. En projetant dans le passé ce qui aurait été un âge d'or de l'Afrique – en fait de l'africanisme menacé et en détresse – les salopes veulent seulement doter d'un cachet d'authenticité la fausseté du présent de la société africaine moderne. C'est pourquoi, tout comme le présent qu'il a mission de légitimer, ce pseudo-passé ne peut lui-même être que faux. Le mensonge africaniste sur le passé de l'Afrique est tout contenu dans l'affirmation, la revendication de l'existence, antérieurement à la « présence européenne », d'une civilisation, d'une culture, d'un art, d'une philosophie, d'une religion, d'une science (magie ou pharmacopée), d'États, d'empires, de tyrans, etc. qui seraient authentiquement africains. En bref, cette revendication peut se ramener à la vanité de la revendication de l'existence pré-coloniale d'une Histoire authentiquement africaine et en filigrane à l'absurdité de la revendication de l'existence anté-européenne d'une économie authentiquement africaine.

Remarquons, tout d'abord, qu'une telle revendication ne peut, quoi qu'il en soit de son bien ou mal fondé, concerner que les maîtres anciens et leurs successeurs actuels, mais qu'à aucun niveau – si ce n'est, bien sûr, en tant qu'esclaves ou sujets, en tant que pauvres précisément – les pauvres modernes ne peuvent lucidement/véridiquement se sentir concernés simplement parce qu'ils n'ont jamais fait/possédé une histoire qui leur aurait ensuite été enlevée et, ce, aussi simplement parce qu'ils sont les pauvres. Au contraire, la possibilité historique de faire réellement l'histoire qui est apparue avec la colonisation marchande moderne opérée sur la défaite de leurs anciens maîtres est précisément ce qui leur permet, aujourd'hui, de déclarer qu'ils n'ont jamais eu d'histoire et donc qu'il en est enfin grand temps et définitivement, contre leurs maîtres actuels.

L'imposture de la revendication revêt toute sa dimension quand on la considère sous l'angle de la nécessité – combien plus urgente et immédiate pour la classe dominante – de la preuve et de l'approbation de l'existence pré-coloniale d'une économie authentiquement africaine. L'économie ne pouvait être la réalité des sociétés afro-médiévales/pré-coloniales tout simplement d'abord parce que l'économie est une simple théorie de la marchandise comme rapport social exclusif/dominant du point de vue de l'État et donc n'a jamais ni nulle part été la réalité de ce monde; ensuite parce que c'est l'existence préalable ou au moins concomitante de la marchandise comme rapport social dominant, du fait des passions qu'elle soulève et déçoit régulièrement, c'est cette existence qui nécessite et permet l'invention d'une théorie comme l'économie destinée à, pour ainsi dire, freiner les ardeurs des prolétaires lorsque ceux-ci s'avisent de prendre au mot les promesses insatisfaites de la marchandise. L'absurdité d'une telle revendication est flagrante quand on sait, ce qu'ici nul non plus n'osera nier, que la marchandise en tant que rapport social ne tenait qu'une place marginale en Afrique pré-coloniale.

L'essentiel des déterminations qui font la vanité et l'absurdité de la revendication africano-tiersmondiste est tout contenu dans la défaite des classes dominantes afro-médiévales et dans leur reconversion volontaire ou forcée au système supérieur de la domination de classe qu'est la marchandise. D'ailleurs la revendication concernant l'économie est caractéristique de la stricte fausse conscience d'une classe vaincue : elle prend la parole de son vainqueur pour la pure réalité du monde qu'elle n'a pas su conquérir, au point de revendiquer l'existence dans son passé vaincu de ce qui, de toute évidence, n'a pu exister, ce qu'elle reconnaît volontiers par ailleurs pour les opportunités de sa politique touristique, par exemple. C'est ce caractère d'anciennes classes dominantes vaincues et cooptées/recyclées devant affronter un prolétariat moderne qui détermine tous les dilemmes et contradictions des classes dominantes dudit tiers-monde. C'est le processus spécifique d'autonomisation et d'indépendance de l'État et de la société civile, grevé de cette tare originelle, qui a porté les nouvelles classes dominantes recyclées à la situation chaotique où elles arrivent, pour ainsi dire, à la fois trop tôt et trop tard. Trop tôt parce que ne disposant pas de l'apparatus idéologico-policier ni de la méthode organisationnelle de leurs vainqueurs européens pour faire face à un même prolétariat; trop tard, parce que tous leurs modèles européens s'écroulaient quand eux ne faisaient que commencer, donc en quelque sorte, ils se retrouvaient, impromptu, mission terminée avant que d'avoir commencé. D'où la surenchère permanente dans de prétendus décollages ou atterrissages forcés, voies africaines et autres rendez-vous à l'an 2000 (« ou plus exactement 2001 » comme disait l'ex-salope en chef). Leur précarité actuelle tient à ce que, contrairement à leurs prédécesseurs et vainqueurs européens, ils ont dû établir et consolider les bases de leur domination après leur prise du pouvoir. C'est ainsi qu'en moins de vingt ans de règne, ils se retrouvent coincés entre les contradictions de l'échec dont ils sont issus et celles de l'écroulement irrémédiable du tiers-mondisme. Le seul et strict sous-développement de la classe dominante est un présupposé qu'il ne tient qu'aux prolétaires de mettre à profit, ce que personne n'a eu à leur enseigner comme on va le voir.

S'il existe un sous-développement dans cette société, ce ne peut être que du fait de l'existence de cette classe dominante sous-développée quant à ses prétentions de classe dominante et qui impose son sous-développement à l'ensemble de la société. Il faut vraiment être une salope ou un militant pour prétendre que l'aliénation, la pauvreté est en retard sur on ne sait quelle richesse. D'autant plus que celle que la classe dominante affiche se montre suffisamment méprisable pour n'être plus digne de respect. Quand notre ami R. Pallais parle d’« aliénation sous-développée », il commet un contre-sens dans les termes exactement du même type que « soviet suprême ». Dire que l'aliénation des pauvres est sous-développée c'est seulement proférer une insanité sous-développée. Le sous-développement, c'est la misère de la classe dominante et sa misère c'est qu'elle seule est sous-développée, qu'elle le sait et qu'elle sait que les pauvres ne l'ignorent plus. Le sous-développement, c'est ce qui reste de la réalité lorsqu'elle est prise en charge par les prétentions bornées et les exigences insensées d'une classe dominante sous-développée : comme on peut le voir, rien ou toute cette irréalité qui en tient lieu. Ce n'est pas le monde qui dépendrait de l'issue de la « lutte pour le développement » que mènerait une telle misère sous-développée mais, au contraire, la domination de la classe dominante qui est suspendue à l'intelligence historique des prolétaires auxquels elle a encore le culot de prétendre enseigner le savoir-vivre.



2. Et foutre, Senghor.


Il semble que les premiers mois qui ont suivi la démission forcée de l'ex-salope-en-chef se sont donnés pour consigne de confirmer dans la pratique et en détail ce que nous en avons dit de manière encore trop brève et trop générale dans notre affiche « Et foutre, encore ! » diffusée à 50 exemplaires aux membres des diverses fractions de la racaille qu'elle attaquait dans la matinée du 31 décembre 1980, c'est-à-dire donc une bonne demi-journée avant le discours de Senghor : on aurait dit que nous étions penchés au-dessus de son épaule pendant qu'il le rédigeait. Senghor n'a pas finalement présenté sa démission, comme l'en pressaient tous ses rivaux impuissants mais seulement présenté sa fin comme une dé-mission afin d'accréditer, face à la dangereuse dégradation de l'autorité étatique, l'idée même de la mission. L'opération « Foutre-Senghor » peut se résumer en la maxime d'un auteur que nous ne lui ferons pas l'injure de penser qu'il l'ignore : SE RETIRER AVANT QUE FORTUNE NE SE RETIRE. De même que pour la « démocratisation partielle » de 1974 et la « démocratisation totale » de 1981, la démis-tion de Senghor qui en constitue le lien et le secret, il se manifeste la même contrainte et le même arbitraire. Au risque de connaître la fin piteuse et ingrate de feu-son-tonton-de-Gaulle consécutive au Mai anti-français ou bien, plus près de lui, celle peu enviable - dites donc, il ne faudrait pas confondre les torchons et les serviettes – de son cousin Bokassa, la salope a préféré la solution bâtarde – c'est sa spécialité, qu'il nommait « compromis dynamique » – d'une fin anticipée avec seulement le choix d'une date afin que la fin du délai n'en paraisse pas une.

De même que la « démocratisation partielle » de 1974 n'est pas le signe d'on ne sait quelle puberté des Sénégalais, de même la « démocratisation totale » de 1981 n'est pas la preuve d'une quelconque maturité des mêmes mais seulement le regroupement des morceaux épars/éclatés après l'écroulement irrémédiable de l'idéologie du sous-développement. Elle n'est pas « la fin des idéologies importées » comme l'affirme le journaflic Justin Mendy, ne serait-ce que parce qu'ils ont tous fait allégeance à cette idéologie importée qu'est l'économie. La salope manifeste là, sous le mode de conscience mystifié propre à la fonction qu'elle remplit, la présente débandade intellectuelle, chacun devant se débrouiller tout seul mais aussi forcément avec les autres, les militants ne sachant plus à quel saint se vouer – c'est pourquoi ils préfèrent se tourner en masse vers les bons vieux saints combien plus rassurants et convaincants de la religion – et les bureaucrates contraints de manger à tous les rateliers. En fait, le con lie la pseudo-fin des idéologies importées – en fait, l'écroulement irrémédiable du tiersmon-disme – à la « démocratisation totale » seulement pour masquer ce fait que tous les tenants de l'idéologie dominante doivent maintenant – sous peine de mort – participer directement au maintien de l'ordre et si possible à son renouveau idéologique. La « démocratisation totale » ainsi que la démis-tion qui l'a précédée signifient que, désormais, tous doivent se donner la main pour faire face SANS PLUS AMPLE TOLÉRANCE à la menace qui les menace tous. La charogne devait s'envoler en beauté, de manière poétique – et non pas dans les soutes d'un Transal français, comme l'autre – afin de maintenir la fiction de l'État démocratique qui appartient à tout le monde, de l'État tolérant au moment où il est attaqué dans le principe même de son autorité, ce qui signifie de la part des prolétaires et interdit de leur part toute indulgence. Senghor devait partir dans une période de paix afin de maintenir la fiction de la paix spectaculaire tout en maintenant celle de la crise spectaculaire. Mais le coup est si fort que leurs chiottes leur en remontent à la tête, cette espèce de masque nègre-es-tu-dis-hein ! en lunette de jésuite. Ce n'est pas un hasard si la salope, qui savait à quoi s'en tenir, déclarait en levant le camp que nous aurions l'occasion de nous rendre compte qu«Abdou Diouf sait faire preuve de fermeté », ce dont, quant à nous, nous n'avons jamais douté. Et ce n'est pas un hasard non plus si l'ex-salope-en-chef déclarait dans sa première interview au « Soleil » que : « nous sommes des fluctuants ».



3. Banjul, Banjul !


La menace que redoutait Senghor a trouvé sa réalisation quelques mois plus tard, à peine, dans les sanglants événements de Gambie. Un putsch aussi minable que celui de Sanyang a suffi à déclencher la guerre des antagonismes qui couvait sous le spectacle exotique du décor Sex-Sun-and-Sand de la société moderne sénégambienne. Ce n'est pas tant à un putsch que l'armée sénégalaise a dû faire face à Banjul mais bien à l'insurrection de toute une ville seulement déclenchée et armée par l'étroitesse de la marge de manœuvre de putschistes mal inspirés. Comme pour Doe au Liberia et Rawlings au Ghana, il s'agissait de prendre les devants et mettre en scène un simulacre de ce que les gens risquaient de faire réellement (d'où les divers emprisonnements et exécutions de quelques notables trop corrompus, boucs émissaires de l'ancien régime) mais Sanyang n'aura réussi qu'à précipiter le cours des événements. S'il a dû armer la population pour être en mesure de faire face à l'armée sénégalaise, il fut vite contraint de se retourner contre les pillards, incendiaires et autres insurgés qui, eux, étaient passés directement aux règlements de comptes sociaux (il n'y a plus de juges en Gambie, les prisonniers les ont exécutés). L'unité spectaculairement revendiquée par les panafricanistes séné-gambiens avant les événements doit être spectaculairement niée maintenant que le sang de 500 morts reconnus/avoués entache de sa marque indélébile l'union officielle des deux pays à laquelle ils se sont vus contraints. C'est pourquoi les flics intellectuels et journaflics de toutes tendances auront effectivement donné tous les détails (?) de la crise – précisons que nous ne nous sommes pas donnés la peine de lire ne serait-ce qu'un seul des multiples torchons qui prolifèrent depuis la « démocratisation totale », sachant bien que ceux qui parlent ne savent rien et que ceux qui savent n'ont pas intérêt à parler – pour passer à côté de ce fait accompli premier que ces événements n'ont pas eu lieu dans on ne sait quelle Gambie lointaine mais bel et bien au Sénégal, ici et maintenant. L'INSURRECTION DE LA POPULATION DE BANJUL EST LA PREMIÈRE INSURRECTION ARMÉE DU PROLÉTARIAT SÉNÉGALAIS. Que Sanyang soit manipulé – pourquoi Nino Vieyra qui s'est empressé de venir féliciter Abdou Diouf, ne fait-il mine de consentir à extrader Sanyang réfugié en Guinée-Bissao et réclamé par le Sénégal et la Gambie? – ou non, la leçon que nous ont donnée les insurgés gambiens n'aura pas été vaine. Le ton étant donné à un tel niveau de clarté, que chacun se le tienne pour dit.

Ce sont des troubles de ce genre que tentaient de conjurer les services secrets de l'État en manipulant les individus que l'on a toujours exhibés avec des têtes humaines et des couteaux ensanglantés sans jamais parvenir à faire la lumière sur l'identité et les desseins de leurs mystérieux commanditaires. Quand elle n'est pas directement complice dans ce genre de machinations policières, c'est la cohabitation quotidienne de l'opposition avec les mensonges dominants qui lui interdit toute intelligence rationnelle de ce qui se passe devant elle et qu'elle croit contrôler (Cf. toutes les conneries qu'ils ont pu débiter). Ce catastrophisme qui tente d'organiser le spectacle de l'insécurité des gens entre eux n'est que le retournement de l'insécurité que seuls ressentent ceux qui possèdent et dominent. Les têtes coupées ne sont pas destinées à d'occultes milliardaires qui les utiliseraient à accroître magiquement leur fortune mais au contraire à la richesse socialement acquise pour se préserver de la menace sociale qui organise présentement sa fin. La Psychose généralisée ainsi créée, la méfiance de tous vis-à-vis de tous, voilà le vrai but de ces opérations secrètes, voilà la fonction réelle du terrorisme d'État. Parmi tous les baratineurs professionnels de la presse démocratique, aucun n'aura prêté attention à cette phrase de Senghor lors d'un conseil national et que nous répétons de mémoire : « on peut dire que le Sénégal est entré dans l'ère moderne, puisque nous avons nous aussi nos terroristes : les coupeurs de têtes ». Et la salope sait parfaitement de quoi retourne le terrorisme en Europe, étant membre de plusieurs organismes internationaux de concertation antirévolutionnaire (Cf. « Du terrorisme et de l' État » par G. Sanguinetti aux éditions « Le fin mot de l'histoire »). Sanyang ne savait seulement pas – ses commanditaires semblaient l'ignorer également – ce que disait Machiavel d'une telle situation : « Que l'on se garde d'exciter une sédition dans une ville en se flattant de pouvoir l'arrêter ou la diriger à sa volonté. »



LOPI, « Lettre de Dakar », Revue de Préhistoire Contemporaine, numéro 1, mai 1982

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