Saturday, September 16, 2006

CHINE : VIÉNET, « MAO : ARRÊTS SUR IMAGES » (septembre 2006)


« Le gouvernement central a reconnu que le nombre de conflits sociaux est passé de 58.000 en 2003 à 74.000 en 2004. »
(19 janvier 2006.)
« Des “petits” Tiananmen ne cessent de se produire et de se reproduire de nos jours. Les officiels les appellent “incidents de masse”. L’attitude des autorités consiste à étouffer ces mouvements par des moyens “doux”, ou “durs” si nécessaire, auquel cas l’Armée peut être mobilisée pour réprimer. La récente répression armée dont ont été victimes les villageois de Dongzhou, dans la province de Guangdong, en est une tragique illustration. Le nombre croissant des outrages aux droits des personnes commis par les autorités provoque une multiplication des réactions de défense chez les gens. L’an dernier, plus de 80.000 incidents de ce genre, impliquant des dizaines, des centaines ou des milliers de personnes, ont eu lieu. C’est un toutes les cinq minutes. »
(Bao Tong, 2 juin 2006.)
« La Chine a connu l’an passé 50.000 conflits ou manifestations dus à des problèmes environnementaux, soit 136 en moyenne chaque jour, indiquait un officiel le mois dernier. Le ministre de la Protection de l’environnement, Zhou Shengxian, estime que ces conflits dus à la pollution progressent de 30 % par an. »
(6 juin 2006.)
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"Mao, 30 ans après sa mort –– en Chine et en France" est un sujet de dissertation que les enseignants d'histoire en terminale opportunément proposeront à leurs lycéens le mois prochain : la récente parution du Mao, une histoire méconnue de Jung Chang & Jon Halliday, et la programmation cette semaine sur Arte du récent documentaire de Philipp Short, alimenté par des sources chinoises officielles, faciliteront des travaux dirigés scolaires.

De plus, ces deux nouveautés "trente ans après" permettront de parler aux lycéens de méthodologie : comment "plus de trente ans avant", dans l'instant, il était possible de comprendre l'essentiel et de le faire connaître :

En 1971, Simon Leys pour avoir écrit Les habits neufs du Président Mao fut condamné par les sinologues français à ne jamais enseigner en France.


Pour avoir été son éditeur, et avoir récidivé en publiant quelques autres titres, depuis devenus des classiques, et surtout pour avoir réalisé le film Chinois, encore un effort pour être révolutionnaires, je fus à deux reprises exclu du c.n.r.s., à l'unanimité, par sa section 38.

Comme ces deux titres se comparent sans rougir malgré leur grand âge aux oeuvres précitées, ne souffrent pas du tout d'être relus et revus, "trente ans après", on peut suggérer qu'ils soient également versés aux travaux pratiques des lycéens si les proviseurs ne sont pas trop mao-prudents et n'anticipent pas sur ce qu'aurait dit, il y a trente ans, l'inspecteur général Geismar lorsqu'il était maoïste.

Un rapide sondage dans les dossiers pédagogiques qui se trouvent, çà ou là, incite à offrir quelques balises pour de tels travaux pratiques en classe, et à faire rebondir, pour leurs parents, le débat là où on ne l'attend pas, où il convient pourtant de le développer :

Un enseignement inepte de l'histoire et de l'actualité chinoises ont conduit la diplomatie, l'industrie et le commerce français depuis un siècle et demi à des déboires et souvent des désastres. Du Sac du Palais d'été de Pékin par Napoléon III (palais magnifique construit par des jésuites européens), à la coûteuse tentative ratée de s'emparer de Formose par Jules Ferry, à la destruction par l'amiral Courbet de l'arsenal de FuZhou (à peine construit par un autre polytechnicien ), jusqu'à la déconfiture du TGV à Taiwan, ou autres échecs commerciaux, ou scandales, il y a une continuité que des lycéens peuvent analyser, textes sur table, avec leurs enseignants.

Tout comme, en sens contraire, les succès de Cogema à Taiwan, il y a vingt ans, et de Framatome en Chine, à la même époque, qui se lisent en milliards d'euros, offrent la preuve qu'il n'y a pas de fatalité dans le bilatéral franco-chinois.


Ne pourront pas comprendre ceux qui ne peuvent pas non plus imaginer que la France construise au FuJian une paire de réacteurs franco-allemands brûlant les combustibles usés/recyclés des centrales taiwanaises et alimentant Taiwan, autant que le réseau du Fujian, en électricité.

Les proviseurs en douteraient-ils ? Le Moniteur du 30 août 1858 publiait après la prise de Tianjin (Tientsin) un télégramme du baron Gros, ambassadeur plénipotentiaire allant ouvrir une ambassade de France derrière les baïonnettes et avant de brûler le Palais d'été avec Cousin-Montauban et Lord Elgin : "Les voeux de l'Empereur sont exaucés en Chine. Ce vaste empire s'ouvre au christianisme et presque entièrement au commerce ...". En novembre 1994, l'ambassadeur de France en Chine signera une célèbre dépêche pour dénier que Framatome puisse jamais contracter en gré à gré un répétition du contrat de Daya Bay. Un mois plus tard, la Chine signait le contrat de Ling'ao.

Entre ces deux dates, entre ces deux ambassadeurs, une côterie de sinologues, catholiques-maoistes pour la plupart, une intéressante exception française subventionnée, vont effectivement brouiller les cartes pour les industriels français.

Mao avait asséné à un ministre de Charles de Gaulle (André Bettencourt, qui n'avait pas su quoi lui répondre ...) que la France n'avait – depuis Dien Bien Phu pilonné par des mortiers chinois – plus aucun rôle à jouer en Asie. Trente ans après sa disparition, pleurée par un si grand nombre de Français, peut-on évaluer ce qu'il reste de Mao et du rôle du maoisme, en France et dans les relations franco-chinoises, dans leurs trop modeste bilan économique ?

Guy Sorman a proposé au Quai d'Orsay d'offrir dix bourses de troisième cycle à des étudiants chinois pour étudier, cas par cas, l'histoire du maoïsme français dans l'université et dans les institutions.

Le Figaro a invité un maoiste repenti à offrir son cas à leur analyse. Je m'en réjouis d'autant plus que dans Chinois, encore un effort ... j'avais brocardé André Glucksman (dans la version américaine, c'est Bernard-Henri Lévy qui était punaisé) et que le film semble avoir eu un effet positif sur lui.

Revenons en Chine pour l'introduction aux travaux pratiques des lycéens : à Pékin, depuis le bocal en verre où certains pensaient l'avoir enfin relégué, bocal visité par nombre de pélerins, Mao a lancé un anathème contre Deng Xiaoping et ses partisans, que l'on peut ainsi résumer : "Vous avez tout jeté la plus grande partie du maoïsme pour vos quatre modernisations, mais vous n'oserez pas toucher à mon mausolée dont la démolition serait perçue comme le lancement de la cinquième modernisation, la démocratie. Pour m'éliminer du paysage, oseriez-vous célébrer Wei Jingsheng et oseriez vous demander comme Mandela One man, one vote ? ".

Pour réveiller au fond de la classe ceux qui veulent préparer HEC, faire du commerce en Chine sans apprendre le chinois, le professeur d'histoire peut alors tenter une diversion. Les affaires des grandes entreprises françaises en Chine ne vont pas très bien, pour la plupart.

Dix années passées dans l'université à ferrailler contre les sinologues catholiques-maoistes, les disciples de l'inénarrable Jean Chesneaux de la Paroisse étudiante, puis le double d'années à représenter des entreprises industrielles dans le monde chinois, me permettent d'écrire que tous les échecs depuis trente ans des industriels français dans la Chine, au sens le plus large en y incluant Formose, ont leur explication, en amont dans une perversion de la formation des personnels appelés à y travailler.

La présente opinion pourrait donc figurer dans les pages saumon du Figaro-économie, comme introduction à une série décapante sur les trop modestes performances de l'industrie française en Chine, et les moyens d'y remédier : Accrochez-vous au pinceau, on retire l'échelle ! La France n'a pas été la première, loin de là, à reconnaître la Chine, et rétablir des relations diplomatiques avec Pékin, en 1964, mais elle ne fut pas non plus la dernière. Pourtant son score en matière commerciale est bien modeste si on le rapporte aux flatteries politiques et diplomatiques françaises depuis 1964. En fait elles dissimulent une profonde absence de formation linguistique, historique et politique des fonctionnaires et des commerçants, et une carence quasi totale de l'université à propos des affaires chinoises – à de rares exceptions près.



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En septembre 1971, donc, dans la Bibliothèque asiatique paraissait les Habits neufs du Président Mao. Le premier tirage fut épuisé avant le premier compte-rendu positif dans la presse. Pour qu'il paraisse, la rédaction du Nouvel Observateur de l'époque exigea qu'un maoïste vienne équilibrer de manière hostile la critique favorable rédigée par Etiemble. Ce premier des titres de Simon Leys expliquait, de manière limpide et sensée, une histoire pleine de bruit et de fureur qui, trente ans après, n'a pas encore décanté en France.


L'ouvrage de référence sur la Chine – en ce temps-là – était un best-seller d'un normalien, maoïste à sa façon, Quand la Chine s'éveillera ..., un titre inspiré par le livre de Jack Belden, citant la phrase célèbre de Napoléon. Alain Peyrefitte avait dédié, entre autres, son reportage au Préfet Papon.

[L'allusion réveillera l'un des lycéens issu de l'immigration dont le grand'oncle quitta Bordeaux en train pour l'allemagne, et son condisciple dont un oncle fut jeté dans la Seine en octobre 1961. Ils s'endormaient au fond de la classe au fond de la classe, et auraient préféré un film avec Shu Qi dans le rôle de Marie-Olympe de Gouges, ce que je comprends].

Brocardé sur ce point dans l'introduction de Révo. cul. dans la Chine pop. l'auteur fit disparaître cette dédicace encombrante dans les éditions suivantes mais ne remit jamais vraiment en cause son analyse initiale. Il convient de ressortir des médiathèques des lycées ce best-seller oublié d'un ministre, qui fut le directeur politique du Figaro, pour en confronter les angéliques aberrations à tout ce que la Chine a depuis révélé sur les horreurs du maoïsme. Pour rassurer les lycéens d'aujourd'hui sur l'équilibre gauche-droite dans l'erreur, leur professeur retrouvera la citation où Daniel Cohn-Bendit se croyait obligé de dire du bien des communes populaires (trente millions de morts de faim).

En septembre 1976, il y a trente ans, aucune télévision n'avait osé préparer de "nécro" de Mao . Il était probablement immortel pour les secrétaires de rédaction. A la grande surprise des maoistes, normaliens ou pas, un était pourtant disponible grâce à Hélène Vager (la productrice de Bôf) et de Charle-Henri Favrod (producteur du Chagrin et la pitié) : sans le moindre récitatif par un tiers, Mao y prononçait en personne, en 26 minutes, sa nécro pour une soirée-débat sur Antenne 2. Il s'était suffisamment déboutonné devant les gardes rouges, qui avaient fébrilement transcrit ses phrases à l'emporte-pièce, pour que le procédé fonctionne bien, sur des images qui étaient à l'époque en grande partie inédites. Le , dont le Président Valéry Giscard venait de saluer l'extinction, clignota donc toute la soirée. Et ce court métrage fut la sélection française de la compétition courts-métrages du Festival de Cannes suivant.

Sur une saillie malencontreuse du boute-en-train Joris Ivens, un cinéaste stalinien, mettant au défi les participants au débat télévisuel de citer le nom d'un seul prisonnier politique dans la Chine maoïste, l'émission fit la part belle au livre , le dazibao du groupe Li YiZhe qui venait de paraître en traduction française et que les techniciens lisaient dans la régie. Du coup l'Express consacra les jours suivants plus de place aux dissidents chinois emprisonnés qu'au défunt de Sollers & Kristeva, et de tant de normaliens rue d'Ulm, confits dans leur dévotion, comme François Jullien, mais tellement malheureux depuis que Lin Biao et Mme Mao ne s'entendaient plus.

L'émission et les remous autour du livre contribuèrent à la libération des auteurs de ce samizdat chinois, enfermés non loin de l'endroit où Deng Xiaoping avait été incarcéré, autorisé malgré tout à vivre avec sa famille, à faire lui-même la toilette de son fils (hémiplégique, après avoir préféré sauter par la fenêtre que de continuer à être torturé par les gardes rouges préférés de Serge July).
Quelques semaines plus tôt, en décembre 1975, sur Antenne 2 également, un polytechnicien madame-mao-phile avait exigé le micro, dans une émission en direct où il n'était pas invité, puis quitté le plateau de manière théâtrale, applaudi par un groupe de militants maoïstes, pour expliquer que, ministre français, il ne pouvait tolérer – sur une chaîne de télévision d'Etat – d'entendre dire "Mme Mao" et non pas la "camarade Jiang Qing", et encore moins qu'on prédise que "Deng Xiaoping allait envoyer Mme Mao au couvent dès la disparition du Grand timonier".


Avec une intelligence de l'évènement qui restera sa marque, pendant la trentaine d'années suivantes, sur la diplomatie et l'université françaises, le Dr Jean-Luc Domenach du Céri, dans l'instant, félicita le ministre Lionel Stoléru : selon ses meilleures sources, "le camarade Deng Xiaoping et la camarade Jiang Qing, réconciliés, oeuvr(ai)ent désormais à l'édification du socialisme en Chine". Mais le camarade Domenach du Céri négligea de prévenir les intéressés de sa prédiction, et l'histoire prit un autre tour : Mme Mao fut jugée publiquement – une première en Chine pour un dirigeant déchu de ce calibre – condamnée à mort et autorisée à se suicider quelques années plus tard.

Peu après cette arrestation (qui contraria tant le camarade Domenach du Céri), Chinois encore un effort pour être révolutionnaires fut – en 1977 – à Cannes le film français de la Quinzaine des réalisateurs, mais toujours dans une ambiance plus que réticente, celle de l'intelligentsia madame-maoiste du temps : Pierre Kast qui, autant que Georges Charensol, appréciait ce long-métrage, fut amené à faire le coup de poing pour défendre le film contre ses détracteurs.


Pour faire court, disons que trente années avant le long docu de Short, trente ans avant le Mao de Chang & Halliday, l'histoire de la révo. cul. et de son contexte était résumée, dans l'instant même de l'arrestation de la la "bande des quatre", en deux heures et en couleurs, avec de la musique d'époque, plus les superbes voix de Thierry Lévy et de Jacques Pimpaneau, et pas mal de citations incontestables, d'images rares, avec une verdeur de langage empruntée à Mao soi-même, soutenue par une analyse marxiste tendance-Groucho, un montage qui n'a pas eu d'équivalent depuis.

Le film expliquait, et Mme Mao le rappela durant son procès, qu'ils étaient cinq dans la Bande des quatre. Il se terminait sur une très simple question : combien de temps faudrait-il à Deng Xiaoping pour pousser Hua Guofeng hors de la Cité interdite, et prendre sa revanche sur Mao ?

Il n'en fallait pas plus à un autre vertueux sinologue catho-mao pour présenter des excuses formelles à l'Ambassade de Chine et expliquer que l'auteur du film, déshonorant le c.n.r.s. en serait chassé puisqu'il était – à n'en plus douter – un suppôt de Deng Xiaoping.

L'assistant réalisateur (sous un pseudo) du film, un chômeur méritant et, à l'évidence, futur bon journaliste, ayant été recruté par François Fejto pour devenir le correspondant de l'AFP à Pékin, un tir de barrage fut organisé par les cathos-maos qui voulaient contrôler non seulement la diplomatie et l'université mais aussi les médias. L'AFP passa outre, elle s'en porta bien, bénéficiant ainsi d'une excellente couverture du "mur de la démocratie" par Francis Deron, tout comme le Monde par la suite qui, souhaitant dissiper la coûteuse (cent mille lecteurs en moins) image khmer-rouge et philomaoiste diffusée par Patrice de Bouc et Alain de Beer, recruta le premier journaliste français, basé en Chine, à avoir fait l'effort d'apprendre le chinois avant son départ.

Trente ans après, faut-il ressortir ces noms oubliés de maoïstes mondains, leurs bourdes et ces bassesses ? et pourquoi celles-là plutôt que mille autres ? Assurément c'est plus qu'utile, c'est pédagogique : pendant trente ans, la France universitaire va persévérer dans l'erreur, et la perversion, sur la Chine. Ce sera l'âge d'or des prébendes pour les disciples de Jean Chesneaux, de Léon Vandermeersch, de Domenach du Céri, empêchant Simon Leys (Pierre Ryckmans) d'enseigner en France, laissant dépérir la bibliothèque / centre de recherche / du Général Guillermaz à l'Ecole des hautes études –– et passant de mauvais messages aux entreprises.

Même si de nombreuses traductions littéraires de qualité émergent, l'étude de l'histoire et celle de l'économie chinoises vont laisser à désirer pendant trente ans. Par exemple, peu d'universitaires comprendront et expliqueront le rôle que Taiwan va être amenée à jouer dans la modernisation de la Chine, et comment les entreprises françaises doivent reprendre pied dans cette île, comme sur un tremplin, vers la Chine – malgré le Quai d'Orsay de Mme Morel et de M. Manac'h.

[Une thèse svp ! Pour le moins un mémoire de maîtrise, financé par l'Institut français des relations internationales. On écrit des articles sur des cuisiniers, et des thèses sur des romanciers, pourquoi n'écrirait-on pas des thèses sur des diplomates en ressortant leur prose des bureaux d'ordre du Quai ? ].

En fait l'une de ces entreprises, et pas des moindres, attendra pour ouvrir un bureau à Taipei que Li Peng, le PM chinois de l'époque, lui suggère de ne pas négliger le marché taiwanais !

En 2006, la situation a-t-elle évoluée ? Pas tant que cela, et pas dans le bon sens : le Dr Domenach du Céri est devenu une sorte d'aumônier de l'ambassade de France en Chine, comme un commissaire politique qui aurait posé son col romain de coté sur sa tête, comme un béret, mais sans oublier sa baguette de pain sous le bras : désigné dans un télégramme diplomatique vers l'ambassade de France comme le représentant direct de Lionel Jospin en république populaire de Chine, les institutions universitaires et le Quai d'Orsay ont cotisé pour son expatriation. Malheureusement pas assez , car une équipe sinologique de recherche concurrente a pompé de son coté près de 300 000 euros pour une étude poly-thématique, et multi-disciplinaire, sur les supplices chinois [peut-on encore dire après cela que l'université manque d'argent ?].

De temps à autre, à Pékin ou Shanghai, des hommes-d'affaires français en Chine sont invités à payer leur écot pour un repas-débat avec ce subtil directeur de conscience, et l'entendre raconter la fin de l'histoire maoïste rédigée en mouillant son encre avec l'eau bénite de la revue Esprit-es-tu-là ? On devine quelles mauvaises affaires font ces hommes-d'affaires-là.

Trente ans après, la Chine ayant entre-temps publié des milliers de pages de dénonciation des crimes et massacres de la révo. cul., et réhabilité ses victimes les plus célèbres, comme le ministre de la défense Peng Dehuai, le Président de la République Liu Shaoqi, et tant d'autres, torturés à mort sur ordre de Mao, on peut encore en France écumer dans les médias les objurgations de dizaines d'éminences en tous genres qui ont réclamé et contient à réclamer une "révolution culturelle" (sic) en France, dans leur ministère, dans leur industrie.

Il ne peut y avoir ni d'ignorance ni d'ambiguïté de la part de ces ministres, managers, ou maîtres-à-penser : l'expression "révolution culturelle" n'a jamais été utilisée avant son invention par Mao, ni depuis, si ce n'est pour désigner la sanglante et catastrophique "contre-révolution anti-culturelle" , stigmatisée par Souvarine .

En Chine, parler de révolution culturelle c'est comme évoquer Oradour-sur-Glane en France, en multipliant par 6 années, et quelques millions de victimes. L'expression n'existe donc que pour résumer une guerre civile, une tragédie, dont les horreurs ont été dévoilées par la Chine elle-même, de manière officielle et documentée, accessible à tous les étrangers qui souhaitent en prendre connaissance, en français ou en anglais, pas seulement en chinois.

C'est la Chine qui offre à Short les images très fortes de Peng Dehuai, le ministre de la défense, battu à mort sous l'objectif de plusieurs caméras, et de Liu Shaoqi, le président de la république battu avant d'aller mourir de faim et de mauvais traitements dans une cave.

Pour ceux qui voudraient se constituer un florilège didactique, et c'est sans doute la cas de tous les enseignants d'histoire et d'économie en classes terminales, il suffit de rechercher sur le web des expressions (françaises) comme "faut une révolution culturelle" ou "révolution culturelle est nécessaire". La moisson est sidérante, trente années après la mort de Mao et, dans la foulée, de la condamnation à mort de son épouse, de la condamnation par le gouvernement chinois de la révo. cul., dans son ensemble et dans tous ses détails.

Dans un océan de citations restituées par internet, retenons en deux prises au hasard sur la toile, aberrantes mais significatives : imagine-t-on ces deux orateurs-là réclamant "un Treblinka, un Auchwitz, pour résoudre nos/leurs problèmes" ?

Edgar Morin dans l'Humanité, il n'y a pas si longtemps : "Il faut une révolution culturelle qui reprenne les aspirations du socialisme sur d’autres notions de base que celles de la pensée de Marx".

François Fillon, devant Nicola Sarkozy, lors de l'Université d'été des Jeunes Populaires, La Baule, septembre 2005 : "Une révolution culturelle est nécessaire dans le pays ! ".

Plus cocasse : un Garde des sceaux aurait appelé de ses voeux une révolution culturelle au ministère de la justice, mais le temps manque pour interroger le service de presse de la place Vendôme sur la manière dont les enfants de magistrats auraient dénoncé leurs parents, les procureurs été battus à coup de ceinturons, la boucle du bon coté, par les greffières invitées, sous peine d'être elle-mêmes cognées et entassées dans les placards à balais, après s'être trémoussées avec les matons sur l'air de "la danse de la loyauté", avoir brulé les livres de la bibliothèque, etc.

Comme pour me servir la soupe, ou m'inviter de manière provocante à y tenir une chronique régulière, le secrétaire de rédaction des pages saumon du Figaro d'avant hier titre que l'Express va connaître sa "révolution culturelle" car cet hebdomadaire a été racheté par un Belge !

Six mois avant le trentième anniversaire de la mort de Mao, malgré l'insistance de de Pierre-André Boutang, qui préparait alors la production du documentaire vidéo de Short qui sort cette semaine en dvd, le patron de Arte refusera non seulement la programmation de Chinois encore un effort ... mais simplement de laisser ses collaborateurs, et l'habituelle commission de sélection, visionner ce classique ... dont la version américaine se gaussait de son Chairman lorsque celui-ci était maoïste.

Et l'INA, qui a co-produit le film, n'en retrouvera – en six mois – ni l'affiche, ni la fiche dans son catalogue, et encore moins une copie. Heureusement le négatif existe encore.

J'ai donc proposé à Pierre Haski, nouveau responsable de la rédaction de Libération, qui fut un bon correspondant de presse à Pékin, de lui offrir le film et d'en glisser un dvd le 9 septembre, date anniversaire, dans chaque numéro de son quotidien. C'était également dans mon esprit un hommage à Hélène Hazéra quand elle tenait la chronique des chansons dans Libé. Depuis qu'il a visionné le film, cet agréable convive ne m'a plus jamais invité à déjeuner.

Au Nouvel Observateur, le responsable des dvd(s), du moins se présente-t-il comme tel, a été plus franc en expliquant que Chinois ... passera plus facilement à la Cinémathèque de Shanghai que dans son hebdomadaire.

Trente ans après, c'est donc un délai raisonnable pour un décantation, pour comparer, (toujours les anti-sèches de classes terminales) deux biographies de Mao disponibles en français dont tout le monde parle : celle de Phil Short, qui a été autorisée puis traduite en Chine, et celle de Chang & Halliday qui ne l'est pas encore officiellement mais y circule.

La biographie par Short a fait l'objet par son auteur d'une adaptation télévisuelle qui a bénéficié d'un appui méritoire d'organismes officiels chinois, non seulement de l'accès à quelques témoins haut de gamme pour des interviews, mais aussi de vieilles bandes d'actualités rarissimes dont beaucoup méritent un "arrêt sur image", pour des commentaires détaillés qui malheureusement prendraient trop de place ici, mais seront bienvenus dans le TD des classes terminales, ou dans les cours d'histoire aux Langues'O.

Plus tard que les journalistes qui disposaient d'un dvd depuis deux semaines, j'ai découvert ce long documentaire lors de sa programmation hier et avant-hier sur la chaîne franco-allemande. Malgré les méritoires efforts de Boutang pour tirer sa production vers le haut, Short est décevant, pas du tout à la hauteur des images que la production lui a confiées, ni des efforts documentaires que des organismes chinois officiels ont consenti en sa faveur. En s'incrustant dans le paysage (comme Benny Hill parodiant CNN) Short n'ajoute vraiment rien à l'histoire du montage cinématographique, et ses propos affadissent le sujet.

Je recommande sincèrement aux lycéens précités de visionner, en toute objectivité, ce long documentaire de quatre heures, et d'écouter attentivement son commentaire pour en proposer un contrepoint. Si ce n'est pour Short, du moins pour Boutang qui a réuni les images et, en quelque sorte, les offre au détournement :

Je suggère aux lycéens concernés et à leurs enseignants, de repasser dans un deuxième temps les mêmes images, mais en coupant le son, sans le commentaire du journaliste anglais, et de vérifier comment faire coïncider telle ou telle séquence avec telle ou telle page des Habits neufs du Pt Mao de Simon Leys (désormais en Bouquins chez Laffont), de la Tragédie de révolution chinoise d'Harold Isaacs (Gallimard), de l'Histoire du PCC de Guillermaz (Payot), et du Mao, une histoire inconnue de Chang & Halliday (Gallimard).

L'épisode du "Pont de LuDing" sera un exercice facile pour les lycéens et le premier que les enseignants pourront utiliser pour leurs travaux pratiques : Short dispose du film de propagande tourné par des comédiens, offert par la Chine. Short s'est rendu sur place. Sur internet, et dans Chang & Halliday, on trouve l'explication offerte par Deng Xiaoping à des visiteurs américains : l'évènement n'a pas eu lieu : c'est un chromo des services de propagande pour créer une mythologie utile à l'enthousiasme des masses, et de Serge July. Pour surtout éviter de raconter ce que fut la Longue marche et ce que furent les luttes au sein du PCC, la mythologie maoïste a lancé des ballons qui dégonflent avec le temps.

En regardant, avec intérêt, cette séquence de Short je repensais à une célèbre photo d'un reporter américain où l'on voyait dans la Chine de l'autre guerre civile (pas la guerre civile maoiste) une dame grassouillette rigolant, devant un étalage de boisseaux de riz. Je ne garantis pas le poids de riz, mais tout le reste (et la photo peut se retrouver) et surtout l'impression écoeurante que m'avait laissée cette commerçante repue avec, en premier plan, à ses pieds, un enfant famélique, en train de mendier.

En constituant l'iconographie du Mao, Réalités d'une légende, de Guikovaty, il y a plus de trente ans, j'avais retrouvé à New York la planche contact du photographe. C'était du Doisneau devant l'hôtel de ville de Paris (avec le célèbre baiser de deux comédiens) : le gosse était indiscutablement maigre et mal nourri, mais la commerçante repue souriait à l'objectif parce que la prise de vues traînait et que le photographe avait du mal à trouver son angle et à cadrer le gosse, déplacé sur le devant de l'étalage pour la bonne pose –– qui fit le tour du monde.

Pour nombre des précieuses archives du Short, on a également envie de redonner les détails de la "planche contact intégrale" de tout ce que le Parti lui a fourni. Ces détails sont disponibles. Ils sont intéressants. Ils méritent d'être expliqués en classe et de dépasser le "son d'Arte".

L'oeuvre de Short a été initialement soutenue par un organisme officiel chinois qui a fourni, et peut-être même vendu [on est sous le socialisme aux couleurs du marché], un bonne partie de la documentation. Mais le dvd une fois visionné on peut penser que les camarades responsables du département concerné vont se demander comment se repasser cette pomme de terre chaude : un docu-vidéo riche de documents historiques bruts exceptionnels, accompagnés d'interviews dont certaines feront date (celle de la fille de Liu Shaoqi en particulier) qui permet à tout propriétaire d'un Mac en Chine de réaliser sa version et son commentaire, tout comme les lycéens français et élèves de la classe d'histoire des Langues'O. vont le faire, cet article en mains, j'espère.

Qu'on ne se méprenne pas, je ne fais pas mine d'être irrité par le commentaire de Short. Je trouve vraiment affligeant que "trente ans" après, riche de documents qu'en 1976 on ne pouvait absolument pas sortir de Chine, où d'ailleurs on entrait pas, Short en dise moins et moins bien que Leys en 1971, et que l'histoire de ce despote épouvantable soit si mal racontée.

Dans le même temps, Mao continue à grincer des dents , coincé dans sa chasse en cristal, contre Deng Xiaoping et ses successeurs. Pour les lycéens, ou jeunes profs d'histoire, qui veulent se lancer dans le cinéma, à peu près à l'âge où je l'ai fait, il y a trente ans c'est donc facile et plus rapide : FinalCut Pro sur Mac a remplacé la table de montage 35mm et les colleuses avec leur odeur d'acétone. Ne parlons pas des effets spéciaux qui sont désormais à la portée de tous.

Les documents sont là, plus nombreux et même offerts par le Parti communiste chinois. L'histoire a un peu décanté, même si le sinologues français sont en retard. On peut voyager en Chine (ce qui n'était pas le cas à l'époque). Et les lycéens peuvent même encore utiliser le Dr Domenach du Céri comme tête à claques. Je leur offre un titre avec mes meilleurs voeux pour le Short revisité, re-commenté et re-monté : La malédiction de la momie.


René VIÉNET, « Mao : arrêts sur images », Le Figaro, 7 septembre 2006

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