Wednesday, February 07, 2007

LES MOIS LES PLUS LONGS (Février 1963 - Juillet 1964)

L’I.S. a publié, en février 1963, un document intitulé Aux poubelles de l’histoire, à propos de la disparition de la revue Arguments. Dans ce document se trouve reproduit le texte situationniste Sur la Commune, ainsi que la copie diluée qu’Henri Lefebvre en avait sournoisement publiée, sous sa signature, dans le dernier numéro d’Arguments, paraphant ainsi, sur le mode grandiose, ce carnaval du truquage de la pensée moderne dont Arguments a été, en France, l’expression la plus pure.
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La liste qui suit est celle des collaborateurs d’Arguments : J.-M. Albertini, K. Axelos, Roland Barthes, Abel Benssi, Jacques Berque, Yvon Bourdet, Pierre Broué, T. Caplow, Bernard Cazes, François Châtelet, Jean Choay, Choh-Ming-Li, Michel Colinet, Lewis Coser, Michel Crozier, Michel Deguy, Gilles Deleuze, Romain Denis, Albert Détraz, Manuel de Diégez, Jean Duvignaud, Claude Faucheux, F. Fejtö, Léopold Flam, J.-C. Filloux, P. Fougeyrollas, Jean Fourastié, André Frankin, F. François, G. Friedmann, J. Gabel, P. Gaudibert, Daniel Guérin, Roberto Guiducci, Luc de Heusch, Roman Jakobson, K.A. Jelenski, Bertrand de Jouvenel, Georges Lapassade, Henri Lefebvre, O. Loras, Stéphane Lupasco, Tibor Mende, Meng-Yu-Ku, Robert Misrahi, Abraham Moles, Jacques Monbart, E. Morin, V. Morin, Serge Moscovici, Roger Munier, Pierre Naville, Max Pagès, R. Pagès, Robert Paris, François Perroux, A. Phillip, André Pidival, Alexandre Pizzorno, David Rousset, Maximilien Rubel, Otto Schiller, Walter Schulz, H.F. Schurmann, M. Sheppard, Jean Starobinski, A. Stawar, Jan Tinbergen, Jean Touchard, Alain Touraine, Bernard Ullmann, Aimé Valdor.
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Les thèses situationnistes sur la Commune ont été traduites en italien et publiées dans le n° 9 de la revue Nuova Presenza (printemps 1963), en regard de leur copie par Lefebvre. Les deux directeurs de cette revue ayant exprimé en deux articles des avis assez différents, il importe de remarquer que l’un et l’autre feignent de croire que l’essentiel de la théorie de l’I.S., et de sa présence dans notre temps, se ramène à une interprétation de la Commune de 1871 ; et surtout qu’aucun d’eux ne signale que la publication de ces thèses n’est qu’un détail dans un document concernant la lutte pratique de l’I.S. contre le déguisement spectaculaire qui cache, en ce moment, les questions réellement subversives (en ce cas, notre boycott d’Arguments et la démonstration de son plein succès). Ainsi, il leur devient aisé de parler de “faiblesse pratique” et de “manque de perspectives historiques”. C’est bien la question.
« Précisons que l’Internationale Situationniste est l’organe d’un groupe de jeunes qui se placent sur une position de critique radicale de la “société du spectacle”, c’est-à-dire l’organisation technologique et technocratique moderne qui tend à manipuler, selon les fins de l’industrie de consommation, les manifestations de la créativité humaine… Continuation d’un mouvement théorique qui a ses racines dans le premier romantisme, et se poursuit à travers Rimbaud, les surréalistes, Bataille, Klossowski ; au-delà de sa faiblesse pratique, condamné qu’il est à succomber par manque de perspectives historiques sous l’appareil de domination et de frustration des bureaucrates modernes, ce mouvement représente l’expression de refus des nouvelles générations qui se trouvent en face d’une société fondée sur la mystification et le mensonge. » — Franco Floreanini (Les valeurs de la Commune dans la lutte contre le totalitarisme des technocrates et la pétrification idéologique des stalinistes et des bureaucrates du socialisme).
« Quelques lignes ne paraissent pas suffisantes pour examiner l’interprétation avancée par Lefebvre à propos de la Commune, surtout si ces lignes doivent être consacrées exclusivement à les confronter avec les thèses de l’Internationale Situationniste, desquelles elle découle critiquement. C’est ici seulement l’occasion de prendre en considération ces dernières thèses et leur réexamen critique opéré par Lefebvre : et le jugement sur les premières comme sur le second ne peut être, à notre avis, que résolument négatif. Au complexe phénomène historique du stalinisme, pas encore surmonté en Union Soviétique et dans l’élite communiste française, se voit opposée une forme historique mystique : dans une telle forme mystique de “dictature du prolétariat” on veut retrouver l’autonomie des forces prolétariennes et la participation directe et indirecte de telles forces au pouvoir, qui manque dans le stalinisme installé dans sa bureaucratie immobile et son anti-humanisme. Mais une telle participation se trouve complètement séparée de sa problématique historique et structurelle pour devenir une aspiration irrationnelle confuse, sans réels termes idéologiques. L’autonomie des forces prolétariennes, le problème principiel et historique de leur participation au pouvoir en viennent à se réduire au mythe suggestif et transcendant d’un “ jeu quotidien avec le pouvoir ”, d’une “ fête ” populaire, de “ l’autonomie ” des groupes armés populaires. Et l’on n’hésite pas à mêler dans cet élan utopique des formules qui semblent franchement médiocres et quasi-superstitieuses : ainsi la prétendue originalité d’un “ urbanisme révolutionnaire ” qui “ ne croit pas qu’un monument soit innocent ”, l’apologie anti-humaniste de ceux qui voulaient détruire la cathédrale Notre-Dame, exprimant ainsi “ par cette démolition leur défi total à la société ”, ou enfin le regret qui n’est pas moins anti-humaniste concernant les actes demeurés “ ébauchés ”, et en tant que tels considérés comme des “ atrocités ”. Tout ce nœud d’irrationnalité, qui trouve sa base naturelle dans une expérience distante et non point vécue historiquement, reste substantiellement intégré dans ce que Lefebvre a repensé, réussissant seulement à exclure quelques formules parmi les plus abstraites… Une protestation qui n’a pas, et ne veut pas avoir, de contact avec la réalité historique d’aujourd’hui… Le stalinisme… est pour lui-même une mystification irrationnelle, une projection sur les forces prolétariennes d’aspirations abstraites, semblables par leur schématisme à celles qui se trouvent dans les thèses sur la Commune de l’Internationale Situationniste. Il est temps que les communistes se posent le problème du dépassement du stalinisme à travers une rationalisation de la vie politique et idéologique, par des formes institutionnalisées qui garantissent la dialectique entre les forces de la classe ouvrière et celles qui assument la conduite de la révolution sociale. » — Marcello Gentili (Deux protestations irrationnelles contre le stalinisme).
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Quelques débris d’une nuance stalinienne du surréalisme étant venus relancer des situationnistes à Anvers, sous un prétexte d’anti-fascisme parfaitement onirique, leur éjection a été commentée par un tract du 27 février 1963, en néerlandais et en français : Pas de dialogue avec les suspects ! Pas de dialogue avec les cons !
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Le premier numéro de la revue de l’I.S. en langue allemande Der Deutsche Gedanke a paru en avril 1963, sous la direction de Raoul Vaneigem. Compte tenu de diverses conditions pratiques, son adresse a été finalement établie : Boîte postale 155, Bruxelles 31.
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J.V. MARTIN lors de la manifestaion « destruction de R.S.G. 6 ».


J.V. MARTIN devant l'une de ses cartographies thermonucléaires lors de la manifestation « Destruction de R.S.G. 6 ».

En juin 1963, l’I.S. a organisé au Danemark, sous la direction de J.V. Martin, la manifestation « Destruction de R.S.G. 6 ». À cette occasion, les situationnistes ont diffusé une réédition clandestine du tract anglais Danger! Official secret - R.S.G. 6, signé Spies for peace, qui a révélé le plan et la fonction de l’« abri gouvernemental régional n° 6 ». Un texte théorique Les situationnistes et les nouvelles formes d’action dans la politique ou l’art a été aussi publié en danois, anglais et français. La base — révoltante — du décor de cette manifestation était formée, dans une première zone, par la reconstitution d’un abri anti-atomique ; et dans une deuxième surtout par des cartographies thermonucléaires de Martin, détournement du pop-art, esquissant une représentation des différentes régions du globe pendant la troisième guerre mondiale.
« Le mouvement situationniste présente une exposition, si l’on peut dire, avec une idée. Il manifeste, à l’aide de productions chaotiques à base de plâtre, cheveux et soldats de plomb éclaboussés avec de la peinture ou des slogans, en faveur de la destruction de l’abri du gouvernement anglais R.S.G. 6, qui a été construit comme défense en cas de guerre atomique. Bien sûr, ils protestent en réalité contre la guerre elle-même et l’État totalitaire ; ils prendront probablement pour un compliment que l’on dise qu’ils ne l’ont pas fait avec des moyens artistiques. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que ce puisse être un compliment. » — Pierre Lübecker, Politiken du 3 juillet 1963.
Un compte rendu intelligent a été fait par Else Steen Hansen, sous le titre Homo ludens, dans le numéro 5-6 de la revue suédoise Konstrevy (décembre 1963).
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Le situationniste Rudi Renson, alors qu’il se rendait à la même manifestation, a été arbitrairement refoulé à la frontière danoise. Sous l’effet du scandale évoqué pendant plusieurs jours par la presse de tout le pays, la police des frontières a successivement prétendu qu’il n’avait pas de passeport ; qu’il n’avait pas assez d’argent ; qu’il avait une sale tête. Le dernier point restant évidemment discutable, la fausseté des deux autres a été démontrée (mais la saisie des publications situationnistes continue depuis, à cette frontière). Renson prépare, actuellement, un recueil des études de l’I.S. sur L’architecture et le détournement.
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T. Kurokawa et Toru Tagaki, délégués en Europe par le mouvement japonais Zengakuren au printemps de 1963, ont apporté ici une précieuse contribution à la discussion sur le nouveau départ d’une organisation révolutionnaire. Adresse : Zenshinsha, 1-50 Ikebukurohigashi, Toshima-ku, Tokyo.
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« Au même titre que les diverses spécialisations intellectuelles, la poésie doit disparaître en tant que pratique particulière d’une caste de “techniciens” et de virtuoses littéraires pour se manifester directement dans tout acte créateur humain, — y compris l’acte d’écrire — ce que n’arrivent pas à comprendre les ramasse-miettes lettristes ou situationnistes, pour qui l’abolition pure et simple de l’écriture grammaticale ou de l’expression artistique sert de remède miracle à la crise de l’expression poétique. » — Front Noir, n° 1 (juin 1963).
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Dans le livre L’Extricable, où Raymond Borde agite, à la sauce de la plus vulgaire rigolade, quelques faits et quelques notions qui vont effectivement venir à la mode, on peut lire cet étrange aveu : « L’idée est en l’air du côté du surréalisme. Elle a été reprise par les situationnistes, mais dans un contexte aléatoire. Elle peut fournir — sait-on jamais ? — la clé d’une théorie révolutionnaire… » On sait (voir cette revue, page 19) que Raymond Borde a toujours pu placer ses exercices de style dans un contexte non-aléatoire : il n’a jamais changé que de livrée.
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Il est tout à fait abusif d’écrire, comme l’avait fait France-Observateur du 7 février 1963, que la brochure de Robert Dehoux, Teilhard est un con (même si nous approuvons absolument ce titre), révèle des “accointances avec les situationnistes”. L’autonomie de Robert Dehoux est pourtant manifeste, et encore confirmée récemment par son deuxième ouvrage, Ecce Ego. Il semble que certains critiques soient tellement habitués à voir des copistes qui affectent d’ignorer l’I.S. que lorsqu’ils rencontrent quelqu’un qui a la bonne foi de nous citer, et de donner les références situationnistes qui lui paraissent utiles pour son propos, on le ramène tout de suite à ce maudit sigle.
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Attila Kotányi a été exclu de l’I.S. le 27 octobre 1963. Il avait soumis aux situationnistes, trois semaines auparavant, un texte qui demandait une réorientation théorique fondamentale. Cette réorientation était extrêmement rétrograde, jusqu’au mysticisme inclus. Son auteur a été rejeté à l’unanimité. Seul le situationniste danois Peter Laugesen a déclaré qu’il ne voyait rien de particulièrement choquant là-dedans. Il a donc été lui-même exclu à l’instant (voir la circulaire diffusée en décembre Sur l’exclusion d’Attila Kotányi). Depuis, Laugesen se répand dans la presse scandinave sur l’inépuisable thème : « Ils sont affreux ; je sais de quoi je parle ; j’avais le malheur d’y être ». A. Kotányi a fait au moins ce pas vers le nashisme qu’il a essayé de répandre le bruit que tout ceci était un désolant malentendu, et qu’il reprendrait bientôt contact avec l’I.S. Il nous faut bien dire que non : son texte était parfaitement clair. Les nôtres aussi.
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Dans Le Mouvement du Signe, Estivals s’obstine contre toute apparence de raison à chercher à comprendre l’I.S. Entre mille autres sottises, il en a « prévu et expliqué l’éclatement inévitable ». Pour lui, ce mouvement centrifuge s’est révélé dès l’exclusion de Ralph Rumney, dans les toutes premières : avant même que nous ayons publié une ligne. C’est peut-être parce qu’il est assurément de ceux qui n’ont « même pas eu la chance de se faire exclure » (I.S. 8) qu’il se bouche les yeux sur le sens réel des exclusions. Peut-être estime-t-il que l’onde de choc de cette explosion de l’I.S. a déjà atteint les zones mentales déshéritées où il hiberne ? Toujours est-il qu’il s’est présenté dans quelques rédactions parisiennes — au moins celles des Lettres Nouvelles et de France-Observateur — en prétendant avoir quelque chose de commun avec les situationnistes. Il est évident que l’imposture ne pourra tromper que ceux qui veulent l’être : pas seulement parce que les situationnistes sont intelligents, et qu’Estivals, même comme chercheur du C.N.R.S., paraît d’une faiblesse inhabituelle ; surtout parce que les situationnistes ne pratiquent pas ce genre de démarches, on le sait bien.
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Le nashisme s’est dilué et effiloché, principalement dans deux directions : la revue hollandaise Situationist Times a tourné à la revue d’art quelque peu académique, réunissant une très riche iconographie sur des thèmes parfois très bien choisis (le labyrinthe). La petite partie laissée aux commentaires n’est malheureusement pas à la hauteur de cet effort historico-universitaire. Le Dr H.L.C. Jaffé, fameux muséographe, donnant une citation italienne des trois premiers vers de La Divine Comédie n’y accumule pas moins de six fautes (contresens ou non-sens). À ce compte, on pourrait démontrer n’importe quoi ; peut-être même que le titre inexpliqué de cette revue a eu un sens ? D’autre part, Nash et ses amis suédois font la quête sur la voie publique, en montreurs d’ours et avaleurs de flammes du pop-art saupoudré de mystique scandinave. Dans un tract récent, Nash s’est opportunément proclamé « fils de Dieu ». Tel père, tel fils.
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« Au seuil d’une époque où la science et la technique jouent un rôle parfois démentiel, il faut bien parler des jeux cybernétiques ou téléguidés, de ces activités pour adultes, plus proches du ludisme que de l’art, que le Groupe de recherches d’art visuel a introduits au Musée d’Art moderne de la ville de Paris à l’occasion de la IIIe Biennale. Il y a là des jeux dignes de quelque Luna-Park mathématique. Sous couleur de modifier le rapport œuvre-spectateur, le Groupe demande la participation de celui-ci. En lançant des balles, en manipulant des éléments divers, le visiteur crée de multiples situations… » — Rabecq-Maillard(Le jeu et l’actualité, n° 16-17 de La Nef, janvier 1964).
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Depuis la scission de 1963, la revue Socialisme ou Barbarie s’efforce de prendre la succession d’Arguments (cf. « Nous savons que votre abonnement à Arguments témoignait de préoccupations analogues », dans la circulaire du 20 janvier 1964 adressée par le nouveau comité de rédaction au public qu’ils veulent récupérer). Mais cela vient avec retard, et c’est nettement plus faible et insignifiant. Politiquement, c’est l’expression de la frange la plus gauchiste et la plus fantaisiste de ces managers et cadres moyens de la gauche qui veulent avoir la théorie révolutionnaire de leur carrière effective dans la société, et aussi bien la carrière sociale ouverte à une telle « théorie révolutionnaire ». Mais alors que les Mallet ou les Gorz sont des professionnels de cette activité, les gens de Socialisme ou Barbarie font visiblement amateurs : détente pour les week-ends de managers dont la vraie carrière est ailleurs. La minorité qui a rompu par fidélité au marxisme a accepté le débat sur le plus faux terrain : le « moderne » était l’apanage des cardanistes, et la « révolution », le drapeau de la minorité. Mais en fait, ni un camp ni l’autre ne représente l’une ou l’autre de ces notions, parce qu’il ne peut y avoir de révolution hors du moderne, ni de pensée moderne hors de la critique révolutionnaire à réinventer. La minorité (Pouvoir Ouvrier) est si détachée des vétilles de l’époque qu’elle n’a pas jugé utile d’exprimer le sens de la dissolution de Socialisme ou Barbarie, phénomène trop moderne à son gré, ni même d’en informer ses rares lecteurs, tous fervents, cependant, de démocratie ouvrière. Dans Socialisme ou Barbarie, il ne reste qu’assez peu de traces de l’utile travail théorique fait pendant des années sur nombre de points. Tout est noyé dans une extraordinaire atmosphère de surenchère à la démission, tout le monde se bouscule aux postes d’abandon de toute pensée critique. Dans ce naufrage, il semble que le capitalisme, seul, se défoule euphoriquement. Cardan, après quinze ans d’efforts inutiles pour que la dialectique se donne à lui, fût-ce un bref instant, décide que c’est un fruit trop vert et proclame que « nous ne pouvons pas nous donner d’emblée une dialectique quelle qu’elle soit, car une dialectique postule la rationalité du monde et de l’histoire, et cette rationalité est problème, tant théorique que pratique » (Socialisme ou Barbarie, n° 37, page 27). Dès lors, il peut afficher avec la plus grande fierté son impuissance, longtemps déguisée, à saisir le jeu des contradictions : « À la base de cette théorie (marxiste) de l’histoire, il y a une philosophie de l’histoire, profondément et contradictoirement tissée avec elle, et elle-même contradictoire, comme on le verra. » Il est sûr que, parti d’un si bon pied, on va tout voir, et même Lapassade diriger psychodramatiquement une telle avant-garde de la révolution du « questionnement ».
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L’I.S. a accepté de répondre, en décembre 1963, à l’enquête du Centre d’Art socio-expérimental, sur la relation art-société ; mais a, évidemment, refusé toute participation aux discussions ouvertes entre différents courants artistiques pour une « union des artistes ». C’est même, plus généralement, un appel à l’union de tous les honnêtes gens pour faire la chasse aux situationnistes qu’Isou a lancé, à ce moment, par une proclamation affichée dans les locaux du Centre (et reprise dans L’avant-garde lettriste et esthapeïriste) :
« Comme certains groupes réactionnaires affirment qu’il faut détruire les machines, d’autres groupes réactionnaires — comme les situationnistes, basés sur un ersatz sous-sous-sous-marxiste mal digéré — troglodyte, comme l’appelait Lénine —, affirment que l’art, en son ensemble, sera éliminé dans l’avenir proche… À une époque où, comme en Amérique et en Angleterre, des mouvements néo-nazis se reconstituent avec croix gammée et salut hitlérien, en même temps que reparaissent des groupuscules qui attaquent les recherches des formes et des matières de l’art, comme aux périodes les plus sinistres de l’anti-formalisme de Goering et de Staline, les personnes soucieuses de l’épanouissement novateur de l’homme doivent s’unir pour repousser les efforts de crétinisation ignobles des nullités obscurantistes du type troglodyte-détournant. » — (Réponse aux déchets obscurantistes « situationnistes »).
Les personnes soucieuses de ce que vous savez s’uniront bel et bien, puisqu’en mars 1964, le « Centre International de Recherches Esthétiques » de Turin, dirigé par Piero Simondo (exclu de l’I.S. presque dès l’origine, pour crypto-catholicisme), présentait l’œuvre picturale d’Isou, préfacée avec enthousiasme par le jésuite Tapié, que l’on croyait mort. Tout cela fera de beaux enfants.
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Un livre de Guy Debord a figuré sans son autorisation, et sans qu’il en soit averti d’aucune manière, à l’exposition Schrift und Bild, à Baden-Baden, puis à Amsterdam. À une première protestation adressée aux organisateurs quand cette manœuvre nous a été finalement signalée, les Allemands de Baden-Baden répondent que la responsabilité en incomberait au Hollandais Ad. Petersen, du Stedelijk Museum d’Amsterdam, tandis que ce musée affirme, en même temps, que le choix dépendait de l’Allemand Mahlow, directeur du Kunsthalle de Baden-Baden (à suivre).
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« Ce qu’il faut en société anarchiste, c’est se réveiller chaque fois dans un monde inconnu, nouveau, qui offrira d’autres possibilités qu’hier… Les situationnistes semblent avoir compris cela et proposent, par exemple, une révolution architecturale (l’aspect d’une ville pourrait changer chaque jour) qui mettrait l’homme chaque jour dans des situations nouvelles. Ce n’est qu’un aspect, mais il va dans notre sens, c’est toute la vie actuelle qu’il faut révolutionner… » — Jeunes Libertaires (mars 1964).
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Après la publication, dans la revue anglaise Tamesis (mars 1964), du texte All the King’s Men (cf. I.S. 8), traduit par David Arnott, deux professeurs de l’Université de Reading l’ont commenté dans la même revue, à des niveaux d’incompréhension nettement distincts.
« Ces gens qui, dans certaines de leurs manifestations, apparaissent plutôt comme des anarchistes du XIXe siècle. Je pense qu’ils sont environ 70, répartis dans trente pays différents. Trois membres ont déjà été exclus pour des mesures déviationnistes ou autres… Et ceci, d’un certain point de vue, serait la chose la plus originale, que la révolution doive prendre place en dehors de l’autorité (non seulement en dehors de ce que les autorités linguistiques ou les experts ont établi, mais en dehors de l’autorité du gouvernement — en dehors du corps politique presque). C’est par là que l’on peut voir que ce pamphlet a été pensé d’une façon complètement anarchiste. » — Pr. Lucas.
« Mais le mot qui est permis implique qu’il y a quelqu’un qui permet, et l’auteur, manifestement, désire rejeter même ce foyer de pouvoir. Et c’est pourquoi il est anarchiste d’une façon qui n’a pas, à ma connaissance du moins, été formulée depuis longtemps… Cet homme est-il en train de télescoper la vue marxiste d’une révolution sociale, d’essayer d’introduire le prochain stade dans le présent, par un effort conscient, d’essayer de rendre utilisable la poésie moderne, par exemple, du point de vue du XXIe siècle ? Je pense que oui… C’est seulement d’une façon superficielle que l’article s’avance dans toute une série d’arguments. C’est à la fois un manifeste et un exemple de ce que le manifeste cherche à accomplir. Il doit être pris dans ses propres termes ou pas du tout. » — Pr. Bolton.
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Asger JORN et Giuseppe PINOT-GALLIZIO.

Giuseppe Pinot-Gallizio qui avait été, à la Conférence de Cosio d’Arroscia, un des fondateurs de l’I.S., et qui en fut exclu en 1960, est mort soudainement à Alba, le 12 février 1964. Expérimentateur en tous genres, Gallizio a été un des artistes qui représentaient au mieux un point extrême atteint dans la période créative de l’art moderne. Il a été partagé entre la recherche d’un dépassement, et un certain attachement aux goûts de cette période ancienne. Certains de ces goûts, la pression surtout de son entourage, en vinrent à rendre difficile sa participation à l’I.S. ; il sut, par la suite, rester indépendant. Étant personnellement très inventif, il était aux antipodes du battage falsificateur nashiste. Les débuts du mouvement situationniste lui doivent beaucoup.


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À Copenhague, des étudiants communistes ont été exclus en mai sous l’accusation de menées pro-chinoises. On leur reprochait, en réalité, leur intérêt pour les thèses de l’I.S.

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Dans le livre du professeur Guy Atkins, Asger Jorn (éditions Methuen, Londres, 1964), on peut lire :

« Ultérieurement à Cobra, le plus important mouvement auquel Jorn prit part fut le mouvement situationniste international, qui commença en 1957. Il est intéressant de comparer ces deux mouvements si différents… Chacun a existé effectivement pendant trois ans environ. Cobra était une avalanche qui se grossit de tout jusqu’à devenir monstrueuse. L’I.S. était exactement le contraire. Elle est apparue fermée et cohérente. Elle s’est cassée en éclats de marbre. Vers le milieu de 1962, presque tout le monde avait été “exclu” par Guy Debord, bien que Jorn ait eu l’habileté de démissionner en 1961. Cobra produisit une imagerie commune. L’I.S. créa un esprit et une attitude, et mena une activité expérimentale avec de curieuses et subtiles idées. Cobra, avec ses Danois grégaires, a eu trop peu de discipline. Les situationnistes ont été faits, et puis brisés, par leur propre discipline. »

Au réalisme de cette conclusion, nos lecteurs pourront juger de la valeur qu’il convient d’attribuer aux autres termes de ce parallèle (Cobra a peint les hommes tels qu’ils sont, et l’I.S. tels qu’ils doivent être ?).

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En juillet 1964, l’I.S. a publié, en espagnol et en français, le tract España en el corazón, attirant l’attention sur une nouvelle forme de propagande actuellement expérimentée en Espagne.

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Tract situationniste au Danemark.


En écho aux « comics « espagnols, qui défient d'un seul coup la censure proprement politique et la censure morale des curés, l'I.S. a diffusé cette photographie au Danemark, où les fiancailles de la fille du roi social-démocrate avec le souverain grec soulevaient les protestations polies de la gauche. Christine Keeler, sur la fameuse photo attribuée à Tony Armstrong-Jones, y déclare : « Comme le dit l'I.S., il est plus honorable d'être une putain comme moi que l'épouse de ce fasciste de Constantin ».



Toutes les publications de l’I.S. mentionnées ici peuvent être communiquées à toute personne qui en fera la demande motivée.

« Les mois les plus longs », Internationale Situationniste, numéro 9, août 1964 (Comité de rédaction : Michèle BERNSTEIN, J. V. MARTIN, Jan STRIJBOSCH, Raoul VANEIGEM ; Directeur : Guy DEBORD)


Tous les textes publiés dans « INTERNATIONALE SITUATIONNISTE » peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés même sans indication d'origine.

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