Saturday, June 30, 2007

LES BARBOUILLEURS (10 août 1954)


L'emploi de la polychromie pour la décoration extérieure des constructions des hommes avait toujours marqué l'apogée, ou la renaissance, d'une civilisation. Il ne reste rien, ou presque, des réalisations des Égyptiens, des Mayas ou Toltèques, ou des Babyloniens dans ce domaine. Mais on en parle encore.

Que les architectes reviennent depuis quelques années à la polychromie ne saurait donc nous surprendre. Mais leur pauvreté spirituelle et créatrice, leur manque total de simple humanité, sont au moins désolants. La polychromie ne sert actuellement qu'à masquer leur incompétence. Deux exemples, choisis après une enquête menée auprès de cent cinquante architectes parisiens, le prouvent assez :

Projet de trois jeunes architectes (22-25-27 ans) persuadés de leur génie et de leur nouveauté, naturellement admirateurs du Corbusier :

À Aubervilliers - lieu déshérité s'il en fut, puisqu'un jeune admirateur du céramiste saint-sulpicien Léger y a déjà fait des siennes -, long cube parallélépipédique rectangle. Pour faire comme il se doit « jouer » la façade jugée trop plate, on la flanquera de panneaux jaunes alternant avec des panneaux violets, de 1 m sur 60 cm. On laissera aux ouvriers le choix de la place des panneaux. Le hasard objectif en quelque sorte.

Mais à quand la première construction absolument « automatique » ?

Projet d'un architecte relativement connu (45 ans) :

Près de Nantes, « blocs » scolaires : deux longs cubes séparés par l'inévitable terrain de sport et ses magnifiques orangers nains en caisse. La construction de droite, côté garçons, sera recouverte de panneaux verts et rouges, 2 m sur 1, la construction de gauche, côté filles, de panneaux jaunes et violets, mêmes dimensions.

Les architectes en question vont réaliser cette adorable débauche de couleurs au moyen de minces panneaux de ciment. Ils ignorent à peu près totalement comment ce matériau va se comporter en présence des réactifs chimiques contenus dans les colorants. À Aubervilliers, seule une gouttière protégera de la pluie une façade de cinq étages. À Nantes, d'ailleurs, même insouciance, mais pour deux étages seulement.

On sait à quel point le violet est désagréablement influentiel ; on sait à quelles pompes il participe en général ; on pressent quel alliage formeront bientôt le jaune sale et le violet délavé. Ces exemples se passeront donc de commentaires. On jugera seulement de la pauvreté actuelle des recherches architecturales quand on saura que la plupart des architectes interviewés, lorsqu'ils s'intéressent à la polychromie, ne semblent vouloir se servir que du jaune et du violet, ou du rouge et du vert, alliage un peu « jeune » pour notre temps. Cependant, un architecte (45-50 ans) de la rue de l'Université, et un autre (même âge) de la rue de Vaugirard, préparent sans forfanterie des compositions plus intéressantes. Le premier, qui revient d'Amérique - et il paraît intéressant de noter qu'actuellement, la forme la plus civilisée d'architecture nous vient des U.S.A. avec Frank Lloyd Wright et son architecture « organique », ou d'Amérique latine, avec Rivera et ses villes -, construit surtout des villas pour gens riches, en travaillant dans les tons clairs, en se servant de matériaux sûrs, du carreau de céramique à la brique hollandaise. Le second travaille dans les mêmes teintes, mais pour des immeubles plus ou moins H.L.M. Il est donc assez limité dans sa recherche, et s'en voit parfois réduit à faire appel au ciment, quand ce n'est pas au « bloc Gilson ». On le regrettera pour lui - et pour les autres.

« Les Barbouilleurs », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 8, 10 août 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par M.-I. BERNSTEIN, A.-F. CONORD, Mohamed DAHOU, G.-E. DEBORD, Jacques FILLON, VÉRA, WOLMAN)

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