Tuesday, December 19, 2006

L'OPÉRATION CONTRE-SITUATIONNISTE DANS DIVERS PAYS (Janvier 1963)

Uwe Lausen


« Je me suis élancé sur les hauteurs de la politique, mais ces hauteurs sont des collines en comparaison des montagnes que gravira la postérité. Nos enfants de quinze ans en auront vingt-cinq à la fin du siècle, et nos vieilles têtes à préjugés auront cédé le pas à nos jeunes têtes philosophiques. En 1800, on aura extirpé tous les corps qui pèsent sur l'entendement humain. »

Anacharsis Cloots



« Nous en sommes en même temps, en France, au stade de l'organisation du silence sur l'I.S., principalement de la part des chiens de garde de l'intelligentsia brevetée de gauche. Et dans les pays scandinaves... au stade de la falsification cyniquement organisée. celle-ci se propage à travers une assez grande agitation journalistique, le prétendu « situationnisme » devenant un sujet pour la presse du coeur... ».

Déclaration sur les procès contre l'I.S. en Allemagne Fédérale, 25-6-62.




La déclaration publiée le 25 juin 1962 par l’Internationale situationniste à propos du procès d’Uwe Lausen à Munich énumérait les trois sortes de négation que, sans préjuger de la suite, le mouvement situationniste a rencontrées jusqu’ici : la police, comme en Allemagne ; le silence, dont le record est solidement détenu par la France ; enfin la falsification étalée, dont l’Europe du Nord a fourni pendant la dernière année le plus riche champ d’études. Il va de soi que ces trois méthodes ne sont nullement prédestinées à rester sans mélange, comme recettes locales, ainsi qu’elles ont pu être utilisées lors de la première apparition de situationnistes isolés. On peut prévoir au contraire, partout, mais à des dosages toujours changeants, une confluence de ces manières, dont la fonction commune est de faire disparaître les problèmes gênants. La police est un procédé apparemment quelque peu archaïque ; alors que la falsification est le pain quotidien de ce siècle ; et que le silence des spécialistes est une arme beaucoup plus récente de la société du spectacle. Mais la force de cette société est de pouvoir jouer simultanément sur ce clavier. Les éléments non intégrés devront de toute façon apprendre à maintenir et à faire progresser leur critique de la pensée et de la vie actuellement permises, en dépit d’un barrage de cette sorte et de son renforcement continu. L’I.S. donc ne s’étonne ni ne s’indigne de l’hostilité méritée qu’elle suscite. Il suffit d’en faire la description et l’analyse, dans la perspective des contre-mesures qui sont et seront à notre portée.



Dans les huit derniers mois, c’est sans contredit la tactique de l’imposture, par l’étalage de nuances situationnistes factices, qui caractérise surtout la résistance contre l’I.S. ; bien qu’un tel essai de falsification du programme situationniste ait eu des précédents, plus timides, que nous avons déjà fait retomber à l’oubli. On a cité (Internationale Situationniste 7, pages 53 et 54), l’espèce de manifeste par lequel Jørgen Nash, en mars s’attaquait à l’I.S., au nom de la section scandinave. Nash, tablant sur la grande dispersion de l’habitat des situationnistes scandinaves, n’avait pas consulté tout son monde avant son coup de force. Surpris de n’être pas unanimement suivi, et de se trouver contré sur place par les partisans de la majorité de l’I.S. diffusant aussitôt un démenti définitif, Nash a d’abord feint l’étonnement d’avoir abouti à une rupture complète avec les situationnistes, comme si le fait de lancer par surprise une attaque publique et mensongère était conciliable avec la poursuite d’un dialogue, sur la base d’on ne sait quelle autonomie d’une Scandinavie nashiste. D’ailleurs, le développement de la conspiration ne laisse guère de doute sur ses objectifs réels, puisque le « Bauhaus » suédois, réunissant deux ou trois anciens situationnistes scandinaves, plus une foule d’inconnus accourus en sentant la bonne soupe, s’est lancé immédiatement dans la production artistique la plus éculée (il n’y a pas à chercher plus loin que les « poèmes » d’un nommé Fazarkeley, comme on n’osait plus en écrire dès 1930, premier aboutissement des travaux de ce néo-Bauhaus). En même temps paraissait en Hollande une petite revue nashiste toute vide, intitulée Situationist Times, qui a cette particularité d’être uniquement « situationniste » en ceci qu’elle est dirigée contre l’I.S., la foule de ses collaborateurs occasionnels n’ayant jamais été situationnistes et ne pensant même pas à s’en vanter ; à l’unique exception d’un des deux directeurs, qui a passé dix-huit mois dans l’I.S. et en parle d’abondance. L’autre directeur n’est rien de mieux que Noël Arnaud, ressorti de sa tombe stalino-pataphysique. Dans le reste de cette éclectique assemblée, sont mêlés un ex-lettriste et, à titre encore plus posthume, Boris Vian. Dans la polémique entre nashistes et situationnistes en Scandinavie, les nashistes ont recouru, aussi bien qu’à toutes les menaces et violences qu’ils ont cru praticables, à la diffusion systématique d’une série de fausses nouvelles (aidés en cela par quelques journalistes résolument complices). La plus retentissante, au mois de juin, c’était simplement que l’I.S. avait accepté de reprendre le dialogue avec eux en vue de leur réintégration. Et pour prouver leur chance, ils faisaient état d’une lettre du Conseil Central, qui était un faux pur et simple. Enfin, et malgré le fait que la grande extension de cette affaire dans la presse scandinave ait porté le débat sur un terrain qui, par nature, devait être plus favorable à la déformation nashiste qu’à l’exposé objectif des thèses de l’I.S. — tous leurs efforts pour gagner du temps, et prolonger à la petite semaine la confusion, n’ont pu empêcher les nashistes d’apparaître pour ce qu’ils sont : étrangers à l’I.S., beaucoup plus sociables certainement, mais beaucoup moins intelligents.

Tous les nashistes ont d’abord déclaré, une bonne fois et pour ne plus avoir jamais à y penser, qu’ils étaient d’accord avec toutes les théories de l’I.S. ; mais ils ne le sont en rien avec sa pratique. Ce qu’ils attaquent de cette pratique, d’ailleurs, c’est sur le seul point de la discipline excessive de l’I.S. Et cet excès de discipline n’est précisément rien d’autre que l’accord des situationnistes pour chercher un certain rapport entre leurs théories et leur pratique possible. La pratique que veulent les nashistes, c’est très évidemment la continuation de l’art moderniste « actuel » — c’est-à-dire plus que passé — mais assortie de beaux bavardages et d’une étiquette qui soient publicitaires. Le peu de créativité de ces gens (qui ne s’accordent entre eux sur rien, sauf sur l’opposition à l’I.S. qu’ils ont connue fort mal ou pas du tout), momentanément fédérés par le nashisme, explique qu’ils aiment mieux dire vite qu’ils adopteront toutes nos thèses, plutôt que s’épuiser à un quelconque révisionnisme. Mais leur carence est si excessive qu’il est même probable qu’ils n’auront pas la force de s’y référer, même par de plats commentaires. Il serait bizarre que ceux mêmes d’entre eux qui sont d’ex-situationnistes excercent maintenant sous la pression d’une nécessité contestable (car nos idées ne sont pas vraiment une bonne recommandation pour des arrivistes) un talent qu’ils ont si soigneusement dissimulé quand ils étaient dans l’I.S.

Nous ne voulons pas attribuer à Nash et à ses associés une perversité particulière. Il nous semble que le nashisme exprime une tendance objective, résultant de la politique ambiguë et aventureuse dont l’I.S. a dû prendre le risque en acceptant d’agir dans la culture, en étant contre toute l’organisation présente de cette culture, et même contre toute la culture comme sphère séparée — et il n’est pas moins ambigu et aventureux forcément de vivre en portant sur toutes choses le regard et le programme de la plus rude contestation, qui tout de même coexiste avec la vie telle qu’elle est faite. Ceux des situationnistes allemands qui ont été exclus au début de 1962 exprimaient, avec plus de franchise, et aussi plus de puissance artistique, une opposition comparable à celle des nashistes en ce qu’elle pourrait avoir quand même de réellement fondée. L’intervention d’Heimrad Prem à la Conférence de Göteborg (cf. I.S. 7, pages 28-29), insistait sur le refus réitéré que la majorité situationniste a opposé à un grand nombre d’offres de « réalisations » sur le plan conventionnel de l’avant-garde artistique, où beaucoup de gens voulaient engager l’I.S., ramenant ainsi les choses dans l’ordre, et les situationnistes dans les vieilles classifications de la praxis artistique. Prem exprimait le désir des artistes situationnistes de trouver un champ d’activité suffisant dans l’immédiat. Il est certain que cette attitude, qui ambitionne de renouveler seulement et tout de suite l’art, est en contradiction totale avec la théorie situationniste qui postule qu’on ne peut plus apporter de renouvellement fondamental de l’art traditionnel séparé, sans les autres transformations nécessaires, sans la reconstruction libre de la société globale (l’hypothèse de la situation construite étant un premier exemple d’une explosion post-artistique qui désintégrera toutes les « armes conventionnelles » de l’art ancien). Les nashistes ont seulement poussé beaucoup plus loin la mauvaise foi, l’indifférence profonde à n’importe quelle théorie et même à l’action artistique conventionnelle, au profit de la grossière publicité commerciale. Mais les amis de Prem, quoique plus dignes, n’avaient certes pas complètement évité eux-mêmes les concessions au marché culturel. Il apparaît donc qu’il y a eu dans l’I.S., où ils se sont réfugiés en passant, des artistes de la répétition, incapables de comprendre la mission actuelle de l’avant-garde artistique, ce qui n’est pas trop surprenant si l’on tient compte à la fois du caractère à peine ébauché de notre recherche et de l’épuisement notoire de l’art conventionnel. Le moment où les contradictions entre eux et nous aboutissent à ces antagonismes indique une avance de l’I.S. jusqu’au point où les ambiguïtés sont forcées de venir au jour et d’être tranchées. Le point de non-retour, dans les rapports avec les partisans d’un rajeunissement de l’art conventionnel sous l’autorité d’une école situationniste, a peut-être été atteint avec la décision adoptée à Göteborg de nommer anti-situationnistes les productions artistiques du mouvement. Les contradictions dont le nashisme était porteur sont vulgaires, mais il peut y en avoir bien d’autres à un degré supérieur du développement de l’I.S. Le point de rupture actuel est cependant notable en ceci qu’il marque le moment où le milieu culturel dominant passe à l’offensive, dans le but de nous éliminer avant que nous ne soyons devenus trop forts. On avait rencontré précédemment quelques essais de falsifications, comme celle du prétendu « urbanisme unitaire » de la Ruhr au printemps de 1961 (cf. I.S. 6, page 7). Mais nous sommes maintenant devant une tentative centrale. Tous ceux qui connaissent l’I.S. ont pu constater qu’elle résistait aux pressions de toutes sortes, et allait vers le contraire d’un adoucissement et d’une atténuation de sa pensée. Le milieu culturel, même dans ses nuances les plus modernistes et bienveillantes, va donc en même temps favoriser le maximum de confusion sur la réalité de l’I.S. (brutalement : les capitaux ne manqueront jamais aux entreprises nashistes) ; nous traiter plus ouvertement encore en réprouvés (comme c’est apparu avec le grand nombre de gens qui ont refusé de défendre Uwe Lausen avant son emprisonnement, alors que les mêmes avaient pris la défense des exclus de la section allemande de l’I.S. poursuivis pour le même délit de presse ancien) ; et particulièrement essayer d’organiser un étouffement économique renforcé.

Dans ce courant, le détail nashiste actuel n’est qu’un épiphénomène. Ses successeurs seront sans doute plus forts. Les Nash sont interchangeables : ils représentent notre antagonisme avec le vieux monde artistique.

L’évolution du nashisme, depuis le début de sa brève vie, confirme déjà notre analyse. Coupé de l’I.S. dont la section scandinave publie maintenant la revue Situationistisk Revolution, les nashistes ont retrouvé très vite ce qu’il y a de plus traditionnel dans les mœurs du milieu artistique, c’est-à-dire d’une part les marchandages et petits fours des vernissages, d’autre part, la saine plaisanterie du style « École des Beaux-Arts ». Nash a fait savoir aux journaux que, parmi ses partisans exclus de l’I.S., le plus désolé était Ambrosius Fjord, qui n’arrivait pas à comprendre les raisons de son malheur. En effet, Ambrosius Fjord ne serait autre qu’un cheval appartenant à Nash, qui aurait mis un jour son nom sous une proclamation quelconque, parce qu’il manquait un Norvégien représentatif pour que le nashisme scandinave fût au complet. Est-ce un exemple de la fameuse règle du pouvoir absolu qui corrompt absolument ? Toujours est-il que, resté le premier dans son village à la suite de son pronunciamento, Caïus Nash a fait de son cheval un situationniste. Attendons sa prochaine trouvaille : il prétendra que son cheval était en plus membre du Conseil Central de l’I.S. ; il a déjà essayé quelque chose de ce genre (voir I.S. 7, page 54). Le nashisme est ainsi tellement tourné vers le passé, que le seul effort d’imagination des nashistes jusqu’ici a été de remodeler à leur guise leur mince passé situationniste. D’ailleurs, plus récemment, au mois de septembre, le même Nash s’est dissimulé sous l’identité d’un autre cheval appelé Patrick O’Brien (à moins qu’il ne s’agisse cette fois d’un coyote ou d’un hareng également nashiste inconditionnel ?) pour présenter, dans une galerie de la ville d’Odense, la peinture de « Sept rebelles » dont il avoue maintenant qu’ils ont été jetés par l’I.S. — bien que certains n’aient même jamais eu pareille occasion — et qu’ils sont enfin entre eux dans une « Internationale Situationniste-Scandinave ». Belle Idée. Après le national-situationnisme que méditaient en 1961 certains Allemands, la savante écurie de Nash nous fera connaître le situscandinavisme. Qu’y faire ? Si tous les chevaux qui savent compter savaient également parler, les cirques feraient d’encore plus belles recettes.

Il y a tout de même, dans la polémique insignifiante des nashistes, un point qui vaut d’être éclairé parfaitement. Ils ont affirmé que la majorité qui les excluait était douteuse, mais pour la faire apparaître douteuse ils ont publié (sur la réunion du C.C. à Paris en février), des chiffres et des faits qui sont des mensonges absolument non douteux, et ainsi démoli leur propre prétention « démocratique ». Cette question doit être pourtant précisée, parce qu’elle concerne la nature même de l’I.S. La majorité de l’I.S. a effectivement suivi des règles démocratiques, formellement, ce qui a placé toute contradiction nashiste sur un plan de pure malhonnêteté. Mais le fond du problème est ailleurs : si la mauvaise politique des recrutements aveugles et du noyautage de l’I.S., dans certains pays, par des suiveurs débiles ou intéressés, avait été tolérée encore un peu plus longtemps, certainement le nombre des faux situationnistes officiellement intégrés à l’I.S. serait devenu majoritaire. Cela n’aurait rien changé, pour les situationnistes, au droit et au devoir de les rejeter comme non-situationnistes. Ceci pour le plus élémentaire motif ; parce qu’ils ne comprenaient pas et n’approuvaient pas notre base de pensée et d’action, comme tout le démontrait à tout instant, à une unique exception près : leur choix d’adhérer un jour à l’I.S. Agissant ainsi, nous n’en aurions pas moins représenté toute l’I.S., et eux rien. Mais il valait mieux s’épargner un tel recours à la violence scissionniste ; et il était hors de question de suivre les nashistes sur leur terrain de lutte en acceptant de baisser, même légèrement, le niveau exigé des situationnistes dans la plupart des pays, afin d’augmenter le poids des sections « loyalistes ». Une telle astuce pratiquée pour maintenir l’apparence du vote égalitaire, eût signifié en fait le renoncement de tous à une égalité réelle dans l’I.S. (l’admission irréversible de disciples ou de militants subordonnés). Il était donc temps de rejeter la minorité arriviste avant qu’elle ne prolifère davantage par cooptation ; et d’instaurer des règles plus objectives pour l’entrée dans l’I.S., où que la question se pose.

L’I.S. ne peut pas être organisation massive, et ne saurait même accepter, comme les groupes d’avant-garde artistiques conventionnels, des disciples. À ce moment de l’histoire où est posée, dans les plus défavorables conditions, la tâche de réinventer la culture et le mouvement révolutionnaire sur une base entièrement nouvelle, l’I.S. ne peut être qu’une Conspiration des Égaux, un état-major qui ne veut pas de troupes. Il s’agit de trouver, d’ouvrir le « passage au Nord-Ouest » vers une nouvelle révolution qui ne saurait connaître de masses d’exécutants, et qui doit déferler sur ce terrain central, jusqu’ici abrité des secousses révolutionnaires, la conquête de la vie quotidienne. Nous n’organisons que le détonateur : l’explosion libre devra nous échapper à jamais, et échapper à quelque autre contrôle que ce soit.

Une des armes traditionnelles du vieux monde, la plus employée peut-être contre les groupes qui expriment une recherche dans la disposition de la vie, c’est d’y distinguer et isoler quelques noms de « vedettes ». Nous devons nous défendre contre ce processus qui présente, comme presque tous les ignobles choix habituels de la société présente, l’apparence du « naturel ». Il est indiscutable que ceux qui voulaient parmi nous tenir un rôle de vedette ou tabler sur des vedettes devaient être rejetés. Il se trouve d’ailleurs qu’ils n’avaient pas les moyens de leurs ambitions ; et nous sommes en mesure de garantir leur disparition complète de la zone d’influence de la problématique situationniste — le seul Nash excepté, à qui nous ferons un sort : il va être célèbre pour les autres ! Parmi les membres de l’I.S. maintenant — dont aucun ne veut jouer un tel jeu hiérarchique — ce péril objectif se présentera plus réellement, car l’I.S. entre dans une phase plus publique, et ces situationnistes donneront, plus que des nashistes, matière à des exégèses ou commentaires qui peuvent être extrêmement éloignés de leurs buts réels et de ceux de l’I.S. (voir les interprétations très personnelles du dernier chapitre de l’ouvrage de M. Robert Estivals, L’avant-garde culturelle parisienne depuis 1945).

En parant à ce processus de mise en vedette, qui tend à reconstituer l’ancien modèle de la culture et de la société, nous devons tenir compte des différents degrés de publicité que connaîtra obligatoirement la participation à l’I.S., ne serait-ce que la division entre les situationnistes connus et nos camarades clandestins, cette clandestinité étant inévitable dans des pays où nous ne pouvons développer autrement nos liaisons, et même souhaitable pour quelques autres cas, à condition que les membres clandestins de l’I.S. soient choisis parmi les plus sûrs, et non comme le proposaient les nashistes des éléments plus ou moins incontrôlables ou doubles. La répression même va normalement placer plus en vue tel ou tel de nous. Dans les guerres de décolonisation de la vie quotidienne, il ne saurait y avoir de culte des chefs (« un seul héros : l’I.S. »).

C’est le même mouvement qui nous ferait admettre des situationnistes exécutants, et qui nous fixerait sur des positions erronées. Il est dans la nature du disciple de demander des certitudes, de transformer des problèmes réels en dogmes stupides, pour en tirer sa qualité, et son confort intellectuel. Et ensuite, bien sûr, de se révolter, au nom de ces certitudes réduites, contre ceux mêmes qui les lui ont transmises, pour rajeunir leur enseignement. Ainsi se fait, avec le temps, le renouvellement des élites de l’acceptation. Nous voulons laisser de tels gens au dehors parce que nous combattrons tous ceux qui veulent transformer la problématique théorique de l’I.S. en simple idéologie ; ces gens sont extrêmement désavantagés et inintéressants par rapport à tous ceux qui ignorent l’I.S., mais regardent leur propre vie. Ceux qui au contraire, ont compris la direction où va l’I.S., peuvent s’y joindre, parce que tout le dépassement dont nous parlons est à trouver effectivement dans la réalité, et nous devons le trouver ensemble. La tâche d’être plus extrémiste que l’I.S. appartient à l’I.S., c’est même la première loi de sa permanence.

Il se trouve déjà certaines gens qui, par paresse, croient pouvoir arrêter notre projet à un programme parfait, déjà là, admirable, incriticable, devant lequel ils n’ont plus rien à faire. Sauf se déclarer encore plus radicaux de cœur, dans l’abstention, puisque tout serait déjà dit par l’I.S., on ne peut mieux. Nous disons au contraire que non seulement le plus important des questions que nous avons ouvertes est encore à trouver — par l’I.S. et par d’autres — mais aussi que le plus important de ce que nous avons déjà trouvé n’est pas encore publié, du fait de notre manque de moyens de toutes sortes ; sans parler même de l’absence encore plus sensible de moyens pour les expériences que l’I.S. a esquissé en d’autres domaines (et d’abord en matière de comportement). Mais, par exemple, sans sortir des problèmes éditoriaux, nous estimons maintenant que nous devons réécrire nous-même le plus intéressant de tout ce que nous avons publié jusqu’ici. Il ne s’agit pas ce faisant de réviser certaines erreurs, ou de supprimer quelques germes déviationnistes dont on a pu voir depuis les aboutissements grossis (par exemple, la conception technocratique de Constant à propos du métier situationniste, voir I.S. 4 pages 24 et 25), mais au contraire de corriger et améliorer nos thèses les plus importantes, celles justement dont le développement nous a menés plus loin, à partir de la connaissance acquise maintenant grâce à elles. Ce qui obligera à différentes rééditions, alors que les difficultés d’édition courante de l’I.S. sont bien loin d’être résolues.

Ceux qui croient, à propos de la pensée situationniste primitive, qu’elle est déjà un acquis historique à propos duquel le temps serait venu de la falsification rageuse aussi bien que de l’admiration béate, n’ont pas compris le mouvement dont nous parlons. L’I.S. a semé le vent. Elle récoltera la tempête.


***


DÉFINITION
adoptée par la Conférence d’Anvers, sur le rapport de J.V. Martin



Nashisme : terme tiré régulièrement du nom de Nash, auteur qui semble avoir vécu au Danemark au XXe siècle. Principalement connu pour sa tentative de trahison du mouvement et de la théorie révolutionnaire de ce temps, Nash a vu son nom détourné par ce mouvement comme terme générique applicable à tous les faux-frères dans les luttes engagées contre les conditions dominantes de la culture et de la société. Exemple : « Le nashisme cependant a passé du matin au soir, ainsi que l’herbe des champs ». Allemand : nashismus. Anglais : nashism. Italien : nascismo. Nashiste : partisan de Nash, ou de sa doctrine. Par extension, ce qui relève, dans la conduite ou l’expression, des intentions ou de l’allure du nashisme. Nashistique : doublet populaire, probablement par attraction de l’adjectif anglais nashistic. Nashisterie : généralement, le milieu social du nashisme. L’argot nashistouse est vulgaire.

« L'opération contre-situationniste dans divers pays », Internationale Situationniste, bulletin central édité par les sections de l'Internationale situationniste, numéro 8, janvier 1963 (La rédaction de ce bulletin appartient au Conseil Central de l'I. S. : Michèle BERNSTEIN, Guy DEBORD, Attila KOTANYI, Uwe LAUSEN, J. V. MARTIN, Jan STRIJBOSCH, Alexander TROCCHI, Raoul VANEIGEM)

Tous les textes publiés dans « INTERNATIONALE SITUATIONNISTE » peuvent être librement reproduits, traduits ou adaptés même sans indication d'origine.

0 Comments:

Post a Comment

<< Home