Thursday, July 19, 2007

LA FLEUR DE L’ÂGE (BERNSTEIN, 22 décembre 1954)





Commencée sous le règne du Maréchal Pétain, la vogue de la jeunesse en France va croissant. Une étonnante surenchère semble faire de l’âge, quand il est tendre, une référence pour les carrières de l’intelligence monnayée. C’est que les possédants des vieilles valeurs ne savent comment assurer la relève : les surréalistes, les prêtres, les romanciers d’avenir manquent.
Les jeunes postulants sont donc bien reçus. À la rédaction de Combat ou du Figaro ils ont leur chance et leur rubrique. Un marchand de tableaux tel que Charpentier leur consacre une exposition – sans se référer à la moindre ligne picturale. Le terme « jeune » est cependant requis pour la publicité. Il suffit à l’intérêt, du moins, il supplée.
Tout ce qui se présente est d’ailleurs d’une médiocrité parfaite. Les jeunes, conscients du bifteck offert, ne livrent que la marchandise demandée. Plus abstraits que les maîtres de l’abstrait, surréalistes-médiums sous la livrée de Dédé-les-Amourettes, aragonisant avec le C.N.E. ; ils trottent sans broncher dans les sentiers rebattus et apportent périodiquement le dessin ou la copie d’usage. Le roman psychologique a sa benjamine, les naïfs ont leurs bons élèves. L’ingratitude n’est pas à craindre : comme audaces ils ont conquis l’argot et le jazz.
Des « revues de jeunes » paraissent pour défendre les valeurs révoltées de l’adolescence et de l’impuberté. Les plus honnêtes glosent autour du Grand Meaulnes. Mais quoiqu’une certaine gauche se porte encore assez bien (Mendès-France, nous voilà), les journaux à tendance fasciste passive, dans l’attente d’un maître sont les plus vivaces et les mieux rémunérés.
Le théâtre en rond tourne bien. Un Kafkadamov, un Ionesco-le-Momo traduisent et mettent en scène.
Heureusement la poésie, si l’on excepte son dépassement dans les sonnets des Lettres Françaises, s’est tue après les provocations de la poésie onomatopéique. De même, dans le Cinéma, la lèpre de l’avant-garde a été gommée par les manifestations extrêmes des lettristes. Mais partout ailleurs, la foire continue, les médailles tombent.
D’aussi misérables résultats sont obligatoires. La jeunesse, qui n’a jamais représenté une force que pour la formation de milices fascistes, ne saurait rien apporter aux cadres et aux formes fixes qu’on lui demande de ravauder. En vain des jeunes gens, bulletin de naissance à la main, viennent donner leur caution au dix-millième sous-produit de James Joyce ou à la révolution radicale-socialiste : les domaines sont épuisés, le régime aussi.
Les seules réponses sérieuses, à tout âge, se fondent sur quelques systèmes connus, mais qu’il ne saurait être question d’admettre dans le débat, puisqu’ils en signifient la fin inexorable. À ces réponses sérieuses nous apportons notre part, et notre appui.
Michèle Bernstein
Michèle BERNSTEIN, « La Fleur de l'âge », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 15, 22 décembre 1954

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