LE PEUPLE SOUVERAIN (Août 1954)
Les magazines de nos « démocraties » font une grande consommation de familles royales.
Leur tirage perdrait beaucoup à l'avènement d'une République anglaise - nous étions quelques-uns à l'acclamer un jour que la télévision avait amassé sur les trottoirs les idiots fervents de Couronnements. Et même avec le plat de résistance inusable qu'est la reine d'Angleterre, l'œuvre d'abrutissement doit trouver de temps en temps une variante : une tournée de rois migrateurs, détrônés ou presque, se fait applaudir autour de la Méditerranée, de Marseille à Chypre - par les monts Grammos peut-être ?
Mais alors que le récit des débauches (bien minimes, bien minimes...) de la princesse Margaret commence à ennuyer nos concierges, et comme il se confirme que le même public n'a jamais porté un grand intérêt aux complexes du déplorable Baudoin de Belgique, on découvre à nos portes une famille royale, ou tout comme. Un individu, revenu de loin grâce à l'intempestive abrogation de la loi d'exil, et connu sous le nom de Comte de Paris, se fait complaisamment photographier entouré de sa nombreuse descendance. Par bonheur, la laideur se vend mal : sur huit ou neuf princesses livrées à l'admiration de leur bon peuple, pas une n'est jolie, ou même simplement désirable. (Il faut en excepter une assez petite, onze ou douze ans ; mais sait-on ce que ça donnera bientôt ?)
Tout de même, un Comte de Paris en grande banlieue, cela vous recrée joliment la belle époque du fief, de l'hommage, du servage et du gibet.
Rappeler sa suzeraineté débonnaire, c'est une délicate attention envers les quelques millions d'habitants de cette capitale qui a porté au pouvoir la Convention, et la Commune.
Les débris des classes condamnées s'unissent. Tout un courant d'opinion se crée en faveur de ce roi bourgeois intelligent, de ce roi à la Mendès-France...
Nous savons que partout où la réaction, depuis quarante ans, a triomphé, elle l'a fait par le détournement ou la parodie d'une idéologie révolutionnaire, ou du moins sociale.
Ce processus constant renforce la certitude de voir cette idéologie parvenir à ses vraies fins.
« Le Peuple souverain », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 9-10-11, numéro spécial des vacances, du 17 au 31 août 1954
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