Wednesday, June 11, 2008

DUTILLEUL CONTRE L'INTERNATIONALE LETTRISTE (30 mai 1955)



Suite de la troisième lettre de Dutilleul, du 7 avril 1955.

Je regrette vivement de ne pouvoir vous suivre et accepter vos conditions fantaisistes. Croyez bien que les écarts de langage et le manque de considération que vous avez pour notre confrère français Albert Camus ne changeront en rien notre fonctionnement habituel. – Par conséquent, je dois vous faire savoir d’une façon définitive que notre contrat d’exposition doit prévoir la publicité selon nos conventions habituelles ; que ce contrat ne peut prévoir l’impression ou la diffusion de commentaire. Votre lettre précédente me demandait de réaliser ces imprimés et de vous les facturer en plus. Je vous donnais à savoir que nous n’acceptions pas de travaux extérieurs et que vous pouviez passer commande à un imprimeur. Je ne puis que vous redire ces données. Dès lors, nous réalisons, selon notre contrat, des invitations courantes et des affichettes. – D’autre part, nous ne pouvons considérer ce fait comme vous autorisant à ne pas exposer. Je vous prie donc, tout en transmettant en garantie votre dossier à notre syndicat, de considérer les dates d’exposition de notre contrat et de les appliquer. – Croyez bien que je serais heureux de présenter ces expositions, mais je regrette votre position indéfendable ; j’espère que vous voudrez considérer la présente comme réelle. Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de mes meilleurs sentiments.

Georges-Marie Dutilleul
Dr Gl

De G.-M. Dutilleul. – à l’Internationale lettriste, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e, France.

9 avril 1955
Messieurs,

J’accuse réception de votre billet de ce 7 avril 1955. Je regrette que vous ne pouviez (le style, c’est l’homme – note de Potlatch) exposer et que votre avis me parvienne la veille du vernissage de l’exposition ce qui, sans conteste, me cause un préjudice réel. Le contrat que vous avez signé reste valable en tout, dés lors, que vous exposiez ou non, la période retenue est vôtre. Je vous prie néanmoins de m’avertir trois jours auparavant de l’arrivée éventuelle de vos matériaux. En annexe, j’ai l’honneur de vous transmettre la facture pro-format relative à vos contrats, facture que vous voudrez bien liquider selon nos conditions. Je vous prie de croire, Messieurs, à l’assurance de ma considération,

Georges-Marie Dutilleul

Suite à une communication de la Chancellerie de France et de sa Section Consulaire auprès desquelles notre Syndicat a présenté le rapport de vos agissements et nos contrats, je tiens à vous faire savoir que si la facture annexée n’était pas prise en considération dans les six jours, la Chancellerie de France communiquerait au Conseiller Commercial de l’Ambassade de Belgique à Paris ces documents en vue d’assignation immédiate et de plainte de police par huissier, frais à votre charge s’élevant à 780 francs belges en sus.

La présente réalisée en triple exemplaire et enregistrée à Bruxelles le 9 avril 1955.

lu et approuvé

illisible


UN DERNIER MOT

On conçoit que l’industrieux Dutilleul, frustré des bénéfices qu’il escomptait réaliser sur les ventes lorsqu’il nous offrit gratuitement ses galeries, veuille balancer ce manque à gagner en facturant au prix fort la note de frais des invitations qui n’ont pas servi.

On retiendra toutefois comme l’élément instructif de la prose peu claire de Dutilleul le fait que M. Albert Camus s’y trouve nommément désigné comme étant un « confrère français » de cette sorte d’huissier d’avant-garde, tenace mais impayé. Ajoutons que nous ne croyons pas avoir manqué de considération envers l’auteur de L’Homme révolté en déclarant qu’il est un médiocre, prêt à se produire sur tous les tréteaux. Tout le monde sait cela. Depuis le 14 mai, il écrit même dans L’Express.

pour Potlatch :

Michèle BERNSTEIN,
J. FILLON.


« Dutilleul contre l'Internationale lettriste », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

MAI 1955, LA PRESSE RÉPUBLICAINE S'ATTENDRIT SUR LE RÉPUGNANT CADAVRE DE MARIE-ANTOINETTE (30 mai 1955)


« L’indulgence est pour les conspirateurs, et la rigueur est pour le peuple. On semble ne compter pour rien le sang de 200 000 patriotes répandu et oublié. »
SAIN-JUST, Rapport du 8 ventôse, an II.


Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 20, 30 mai 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.)

LES DISTANCES À GARDER (29 avril 1955)


Nous avions annoncé en novembre 1954 (Potlatch, n° 14) la présentation de deux expositions de « Propagande métagraphique » à Liège et à Bruxelles, du 9 avril au 6 mai 1955. Le contrat qui nous avait été proposé par ces deux galeries belges leur laissait le soin d’assurer l’impression des affiches et des invitations de cette manifestation. Il va de soi que jamais notre liberté complète d’en décider la rédaction n’avait été mise en question.


Le propriétaire de ces firmes artistiques (Galeries Éditions Georges-Marie Dutilleul) prit peur soudainement à la lecture du texte que nous publions ci-après, et à la vue d’un projet d’affiche qui traitait l’architecte Le Corbusier en termes méprisants.


Son refus d’imprimer ce texte entraînait évidemment notre refus de nous compromettre dans son commerce. Il eut le tort de ne pas s’en rendre compte de lui-même. Ce qui l’entraîna à une insistance assez ridicule, puis à une apothéose policière de la dernière inélégance.


On trouvera ici la correspondance échangée.

Texte des invitations

Notre époque est parvenue à un niveau de connaissances et de moyens techniques qui rend possible une construction intégrale des styles de vie. Seules les contradictions de l’économie régnante en retardent l’utilisation.


C’est l’exercice de ces possibilités qui condamne l’activité esthétique, dépassée dans ses ambitions et ses pouvoirs, de même que la maîtrise de certaines forces naturelles a condamné l’idée de Dieu.


Il est inutile d’attendre une invention esthétique importante. Aussi peu intéressantes que les timbres-poste oblitérés, et forcément aussi peu variées qu’eux, les productions littéraires ou plastiques ne sont plus les signes que d’un commerce abstrait.


La phase de transition que nous vivons bouleverse l’ordre des préséances dans le choix des structures, des cadres, et du public des moyens dits d’expression, qui doivent servir de moyens d’action sur le cours des événements. Ainsi, la publicité et la propagande nous paraissant primer toute notion de beauté durable, les travaux métagraphiques de certains d’entre nous ne sont pas destinés au musée du Louvre, mais à établir des maquettes d’affiches.


Il vous est loisible de penser que ces considérations sont la dernière et la plus outrageante forme de cette mystification « lettriste » trop longtemps poursuivie par un groupe de plaisantins sans talent, et qu’une avant-garde d’une saine originalité peut fort bien prendre la relève culturelle. Cherchez-la.

Le 24 mars 1955


pour l’Internationale lettriste :
Michèle BERNSTEIN,

DAHOU,

DEBORD,

J. FILLON,

VÉRA,

Gil J WOLMAN.



De G.-M. Dutilleul à Internationale lettriste.

28 mars 1955
Messieurs,

J’accuse favorable réception de votre billet de ce 25 mars et vous en remercie. Je dois, néanmoins, vous signaler que je ne puis accepter telle votre demande. En effet notre contrat d’exposition doit prévoir l’impression d’invitations et d’affichettes conformes à celles que nous diffusons habituellement, vous trouverez ici même un modèle de nos invitations courantes. Tant à Liège qu’à Bruxelles, la notoriété de nos Galeries ne peut nous permettre une autre présentation. De plus, vous devrez constater que les invitations que vous demandez sont plus un manifeste que des invites et que les affiches demanderaient la réalisation d’un cliché imprévu. Je vous conseille, par conséquent ou d’accepter le modèle de nos imprimés ou de faire réaliser en plus, à Paris l’impression des vôtres ; nos services ne pouvant accepter la diffusion que des imprimés qu’ils éditent. En attendant votre avis par retour, je vous prie de croire, Messieurs, à toute ma considération,

G.-M. Dutilleul

Nota Bene – À cette lettre était jointe, comme preuve sans doute de la « notoriété » de la Maison Dutilleul, un modèle d’imprimé annonçant l’édition, par elle-même, du dernier opuscule de M. Albert Camus.

De l’I.L. à Monsieur Jules Dutilleul,

6 rue de l’Escalier, Bruxelles.

Monsieur,

Je prends connaissance à l’instant de votre lettre du 28 mars, et j’en suis vivement surpris.


Je conçois que le projet d’affiche ne puisse vous convenir, si vous n’avez réalisé jusqu’à présent que des affichettes. Je vous laisse donc libre d’en user ici comme à votre habitude.


Par contre, le texte que vous avez reçu peut fort bien tenir sur une seule face de vos invitations. Et je ne vois pas quelles autres objections pourraient se présenter, puisque l’usage est consacré d’éditer sur les catalogues des galeries une brève présentation de la peinture en cause.


Naturellement, si l’impression de ce texte vous entraîne à des frais supérieurs à ceux prévus par notre contrat, j’y consens volontiers.


La notoriété de notre mouvement – dont vous avez peut-être entendu parler – ne peut nous permettre d’exposer, tant à Liège qu’à Bruxelles, sans définir en toute indépendance notre position.


Compte tenu du fait que je serai moi-même de toute façon à Bruxelles dès le 15 avril avec quelques camarades nord-africains, je pense que le compromis que je vous propose est le plus avantageux pour tout le monde.


J’attends votre réponse, et vous prie de recevoir, Monsieur, mes salutations distinguées.

Le 30 mars 1955
Mohamed Dahou

De l’I.L. à Dutilleul, Bruxelles.

Monsieur,

Quatre jours après vous avoir envoyé une lettre qui demandait une réponse immédiate, nous sommes obligés de constater que les conditions primordiales de l’accord passé entre nous ne sont toujours pas remplies.


Si le texte qui vous effraie n’est pas publié, il est évident que nous n’exposerons pas dans des galeries où se vend habituellement la marchandise la plus mélangée. Vous avez l’air d’ignorer qu’il y a, entre nous et un médiocre comme Camus, quelque distance.


Prenez immédiatement vos responsabilités. Vous ne pensez pas sérieusement obtenir nos métagraphies par des subtilités de maquignon ?

Le 4 avril 1955
pour l’Internationale lettriste :
Jacques Fillon.

Carte des éditions Dutilleul, non datée, non signée.

Cachet postal de Bruxelles en date du 5 avril.

gmd DUTILLEUL accuse favorable réception de votre billet mais ne peut vous satisfaire ! La notoriété et la présentation publicitaire habituelle de ses galeries ne peuvent lui permettre la publication d’un texte ; il vous prie de constater ce fait. Par conséquent, afin de ne pas retarder encore, il fera réaliser, selon le contrat, des invitations et des affichettes habituelles. – Si vous vouliez diffuser d’autres textes vous pouvez, évidemment vous adresser chez un imprimeur, son atelier graphique et d’éditions n’accepte pas de commandes de labeur.


De l’I.L. à Dutilleul, Bruxelles.

Stupide Dutilleul,

En imaginant que tes expositions pourraient se faire dans les conditions que nous avons rejetées, tu viens de donner ta mesure.


Les morveux comme toi, qui veulent réussir, doivent être plus adroits.


Il n’y aura pas d’exposition.

Le 7 avril 1955

pour l’Internationale lettriste :

G.-E. Debord,
Jacques Fillon.

Une lettre à Léonard Rankine

Cher camarade,

En réponse à deux lettres pressantes de nos amis, cette canaille de Dutilleul vient de nous faire parvenir un billet d’une stupéfiante insolence : il refuse absolument d’imprimer le texte que vous savez ; il nous avise que ce que nous pourrions éditer nous-mêmes à ce propos ne saurait être diffusé par ses services – et, de plus, malgré l’alternative que nous lui avions clairement posée, il déclare que cette exposition se fera comme il l’entend à la date prévue.

Devant cette manifestation qui ne relève plus du bluff tolérable mais de la psychopathologie, nous sommes obligés de répondre à l’instant par un mot de rupture aussi injurieux qu’il convient.

Croyez bien que nous sommes désolés, surtout à propos de vous, de la surprenante tournure prise par cette affaire. Recevez nos plus cordiales salutations.

Le 7 avril 1955

G.-E. Debord,
Jacques Fillon

De G. M. Dutilleul à Internationale lettriste, Potlatch, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris, 5e.

7 avril 1955
Messieurs,

J’accuse favorable réception de votre lettre de ce 4 avril, qui vient de me parvenir.

... La suite au prochain numéro


« Les Distances à garder », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

ENCORE LA JEUNESSE POURRIE (29 avril 1955)


Le dernier film de Duvivier Marianne de ma jeunesse unit la plus grande sottise à une funeste abjection morale. L’anecdote, hideusement plagiée du Grand Meaulnes, accumule les poncifs éculés du scoutisme et du parachutisme : dans un manoir-collège de Bavière, un grand dadais en culottes courtes, M. Pierre Vaneck, qui a depuis trouvé sa vraie place au Grand-Guignol, séduit tout le monde par ses récits sur l’élevage des chevaux en Argentine, et son art franciscain d’apprivoiser les oiseaux et les biches de passage. Il est naturellement poète. Il rencontre donc dans le manoir d’en face la Femme mystérieuse-inaccessible-magique-triste sous les traits de Mlle Marianne Hold, qui a une tête à aimer Gilbert Bécaud. (D’ailleurs celui-ci, enthousiasmé par le film, vient de faire quelques couplets sur ce titre, dit-on.) Il y a naturellement des obstacles puissants et occultes à leurs amours toutes idéales, à parfum irrécusable de christianisme. Marianne est de l’autre côté d’un lac ; elle déraisonne beaucoup ; on l’enlève ; des dogues sont charmés par le poète ; on l’assomme ; le condisciple pédérastique cherche en barque le poète ; celui-ci va courir le monde pour retrouver Marianne. Ça fera peut-être un autre film.

Le plus grand scandale est l’histoire d’une très jeune fille, nièce du directeur du collège, qui a eu l’imprudence de s’éprendre de l’écolier-poète. De temps à autre elle se déshabille en sa présence. Naturellement il la dédaigne, puisqu’elle est là et qu’il est amoureux de la Femme inaccessible-magique-mystérieuse-triste qui a l’avantage d’être lointaine et, au sens où l’entendent ces voyous, pure. Cette petite fille, qui mourra piétinée par une horde de biches fanatisées par le doux poète (du moins c’est l’explication apparemment la plus rationnelle), est fort bien jouée par Mlle Isabelle Pia. Il est à noter en passant que la même Isabelle Pia est tout simplement affreuse sur des photos récentes de la Nuit de Saint-Cyr, où on la voit s’afficher entre deux officiers récemment promus. Ce film, décidément, finit mal.

Et surtout Duvivier, le père des célèbres Don Camillo, n’a pas risqué à moitié la compilation des « prestiges poétiques de l’adolescence ». Il a osé mêler à son sale travail les châteaux de Louis II de Bavière, dont il a peu usé pour le tournage, mais énormément pour la publicité de son œuvre malsaine.

Ce procédé seul suffirait à justifier notre indignation, et à renforcer notre assurance que, plus tard, une censure intelligente interdira des films de cette espèce.
« Encore la jeunesse pourrie », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LE GRAND ÂGE DU CINÉMA (29 avril 1955)

Les critiques cinématographiques aiment, de métier, le Cinéma. Ils aiment un certain Cinéma, à l’exclusion de tous les autres Cinémas possibles. Mais, là comme ailleurs, on se lasse : ils voudraient un relatif renouvellement. Ils ont les meilleures raisons de savoir que ce renouvellement est impossible dans les cadres du Cinéma qu’ils estiment et qui les nourrit. Depuis plusieurs années ils jouent à attendre un peu de nouveau, ils jouent la déception, ils jouent l’étonnement.

Depuis plusieurs années il est apparent, aussi pour le Cinéma, que la maîtrise d’une technique, quand elle a parcouru tout le champ possible des découvertes, ne peut rien donner qu’une virtuosité à suivre des règles admises, comme aux Échecs. Cela n’empêche pas nos critiques de feindre la désillusion, ou même l’indignation, en constatant que Clouzot, pour ses Diaboliques n’a fait que mettre une grande connaissance des recettes du film au service d’un passe-temps parfaitement vide de sens. Ou que le dernier Hitchcock (mais enfin, qu’attendaient-ils de Hitchcock ?) ouvre une fenêtre parfaitement gratuite sur une cour totalement insignifiante.

En commençant cette campagne de dépréciation contre quelques-uns de leurs dieux qui, après tout, sont fort capables de leur faire passer agréablement deux heures, les piliers de la religion industrielle-cinématographique donnent les premiers signes de l’épuisement intellectuel qui se manifeste toujours, à la longue, parmi les théoriciens des idéologies concrètement mortes. Bientôt, ils devront se faire plus modestes pour continuer ce métier. Ils admettront peut-être que le Cinéma n’est qu’un spectacle répété à l’infini, comme la messe ou les parties de football.

L’état réel de leur art aujourd’hui, nous l’avions signalé dès avril 1952 dans un tract diffusé au 5e Festival de Cannes, et intitulé Fini le Cinéma Français. Ce n’est pas un argument contre notre position – ce serait plutôt un argument pour – ce fait que nos tentatives de bouleversement dans ce domaine se sont heurtées à l’opposition générale des milieux qui dominent la distribution et même, quand il a fallu, à la Censure.

Depuis cette époque la médiocrité continue de notre Cinéma « atlantique », et même quelques hilarantes tentatives de restauration du style Cocteau, nous ont donné raison. La 8e foire qui s’ouvre ces jours-ci à Cannes sera détestable. Nous prenons un certain plaisir à le constater à l’avance.
« Le Grand âge du cinéma », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 19, 29 avril1955 (Rédacteur en chef : Gil J WOLMAN, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LES RÉFLEXES CONDITIONNÉS (23 mars 1955)

La découverte joyeusement annoncée par Aragon au Deuxième Congrès des Écrivains Soviétiques (Nouvelle Critique, n° 62), et qui lui paraît justifier le séminaire des « Jeunes Poètes du C.N.E. » :

« C’est que le fait même de discuter de la technique du vers ramène forcément au vers forgé patiemment et longuement par des siècles d’expérience des poètes... »

N’est-elle pas une preuve de même valeur que ce genre de constatation :

« C’est que le fait même de discuter de théologie ramène forcément à la religion forgée patiemment et longuement par des siècles d’expérience de l’Église... » ?

Potlatch est envoyé à certaines des adresses qui sont communiquées à la rédaction.
Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

« LA BÊTISE AU FRONT DE TAUREAU » (23 mars 1955)


Dans le numéro 109 des Temps Modernes, on peut lire (pages 1053 à 1072) un « témoignage sur une corrida », dû à un certain Robert Misrahi, qui est bien un des textes les plus représentatifs de ce ton de pédantisme irréel introduit il y a quelques années dans la sous-production littéraire par Sartre, et presque disparu depuis sous le ridicule, mais que des épigones maladroits peuvent parfois relancer en aveugles.

La rivalité taureau-torero exposée sans rire comme une histoire d’« homosexuel envieux qui passe de la féminité à la virilité » en tuant l’animal permet au collaborateur des Temps Modernes de donner au torero un conseil péremptoire, et comme on n’a pas tous les jours la joie d’en lire :

« Il suffirait qu’il écrive ses expériences tauromachiques et se fasse poète ; comme Genet, seule la réflexion le sauverait » (p. 1069).

Poussant encore plus loin ce qui semble être une parodie trop chargée, il ressort comme argent comptant les pseudo-définitions de l’art que Sartre lui-même n’a jamais réussi à faire prendre au sérieux par personne, malgré les deux ou trois volumes de Situations qui les insinuaient à chaque page :

« ... la tauromachie ne saurait être assimilée à un art : elle n’a pas pour fondement la générosité, elle n’est pas un appel à la liberté des autres... » (p. 1072).

Il faut ajouter au désastre un petit « engagement » poliment enlevé sur l’économie, avec des aperçus bien personnels : « Sans tueurs (c’est-à-dire sans toreros), il n’y aurait pas d’éleveurs. » Puisque « les gros propriétaires fonciers qui font en grand l’élevage du taureau » feraient place peut-être, faute de taureaux, à des kolkhozes ? (Et d’abord, qu’allait-il faire en Espagne, ce voyou ? Grossir la foule des touristes qui versent leur obole aux finances du régime vaticano-franquiste, attirés par la bassesse des prix qui découle de la misère du peuple espagnol ; et la doctrine dont il est armé ne lui permettait-elle pas d’aligner exactement les mêmes conneries à propos de n’importe quel autre spectacle quotidien ?)

À propos d’une revue dont le support littéraire, bien défini par cette pourriture esthétique et morale qu’est Jean Genet, ne dépasse jamais le niveau de la farce de lycéens (voir dans les numéros 109 et 110 L’homme au bras d’or de Nelson Algren et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, s’ils ne sont pas plus normalement de Boris Vian), nous n’avons pas voulu attirer l’attention sur le « témoignage » d’une bêtise accoutumée, mais plutôt d’une prétention anormale.
« «La bêtise au front de taureau»», Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

NE PAS CONFONDRE (23 mars 1955)


En réponse à Paris-Presse du 7 mars, qui consacre un article de plus à l’affligeant quartier Germain-des-Prés sous le titre « Simone de Beauvoir a le prix Goncourt... le prince des lettristes épouse une princesse égyptienne... etc. » l’Internationale lettriste fait savoir qu’aucune des étrangères épousées par ses adhérents n’est une princesse égyptienne.
Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LETTRE À HENRI LANGLOIS (DAHOU, DEBORD, WOLMAN' 20 mars 1955)


À propos de la présentation à la Cinémathèque française du film d’un ancien lettriste, qui se trouve être un détournement réactionnaire, et par là même plus facilement admissible, des idées que nous avons soutenues, nous avons adressé la lettre suivante à M. Langlois, directeur de cette institution.

Monsieur,

Avisés de votre intention de présenter le 22 mars au musée du Cinéma le film de Bismuth-Lemaître, nous croyons bon d’attirer votre attention sur l’insignifiance de cette production.


Du point de vue du cinéma « lettriste », qui est à notre sens le seul renouvellement fondamental de cet art depuis quatre ans, le film en question n’est qu’une très mauvaise copie du Traité de Bave et d’Éternité d’Isou, qui lui-même n’a représenté que l’effort le plus primaire de ce renouvellement.


L’ambition faiblement pirandellienne surajoutée à ce devoir d’écolier (briser le cadre ordinaire de la représentation cinématographique, etc.) est loin d’atteindre le burlesque moyen d’Helzappopin.


Nous vous rappelons qu’il est fâcheux de favoriser dans un public qui vous fait confiance de si risibles confusions de valeur. Des truquages analogues font que certains attribuent encore aujourd’hui à Cocteau le style affirmé trois ans avant lui dans Un Chien Andalou ; ou, pire, s’imaginent que l’auteur de Miracle à Milan est l’inventeur des effets de René Clair.
Nous espérons que cette lettre vous parviendra à temps.

Le 20 mars 1955
pour l’Internationale lettriste :
M. Dahou, G.-E. Debord, Gil J Wolman.


Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

UN CHIEN ÉCRASÉ (23 mars 1955)


Le décès tardif de Claudel a provoqué certains éloges littéraires qui eussent gagné à s’exprimer en privé. Aux côtés des Figaro-Match – ce dernier illustré a l’avantage de révéler visuellement, pour ceux qui ne l’auraient pas lu, quel répugnant vieillard était Claudel – on peut voir Aragon – Lettres-Françaises ou l’hebdomadaire France-Observateur louer les mérites du disparu, en dépit de ce que l’on appelle, de ce que l’on ose appeler, dans France-Observateur du 3 mars, « la gaucherie de la démarche temporelle du poète ». (Villon, Baudelaire et Rimbaud y sont cités parallèlement comme autres exemples de ce fait que « les poètes ont quelque mal à s’adapter au monde et à ses vicissitudes ».)


Encore une fois, mais d’une manière plus surprenante et plus scandaleuse que de coutume, la presse prétendue progressiste choisit l’admiration esthétique du plus contestable « génie » bourgeois plutôt que le silence ou les injures qui, dans le cas de la mort de Claudel, se trouvent seuls moralement justifiés.
« Un chien écrasé »,

APOTHÉOSE D'UN VEAU (M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, 23 mars 1955)


Le rôle de l’avant-garde en Espagne se trouve être, plus que partout ailleurs, dans la dépréciation des valeurs idéologiques officielles. M. Claudio Colomer Marquès, à qui « l’intellectualisation de certains secteurs de la jeunesse espagnole apparaît comme un fait anachronique et dénué de sens », explique logiquement ce péril dans l’hebdomadaire El Español :


« Dans l’ordre social, toute pensée mue par le stimulant de l’originalité est funeste et subversive... l’intellectuel est un individu qui change l’ordre naturel et logique des attirances de l’intelligence... Nous croyons que l’Espagne a besoin, comme les plus importants pays du monde, d’une jeunesse intelligente, active, professionnelle et sportive. »


Mais si la philosophie de la classe dominante dispose, contre nos camarades espagnols, d’un arsenal d’interdictions plus ouvertement policières que dans le reste de l’Europe, du moins se trouve-t-elle au stade où elle ne ressent plus le besoin d’entretenir des succursales de diversion, du genre Sartre ou Mendès.


La pensée qu’il s’agit de renverser règne seule, à un degré d’inconséquence et de faiblesse dont témoigne cet hommage des grands propriétaires terriens, des maîtres de l’Espagne, à leur production la plus réussie :


« Dans l’église de Jésus de Medinaceli, et par une messe au Saint-Esprit présidée par le délégué national du Syndicat, a été inauguré le Premier Congrès National de l’Élevage, auquel participaient 3 100 éleveurs et 1 000 entrepreneurs, représentants de l’industrie et du commerce...


« Ensuite le chef national du Syndicat de l’Élevage prononça un discours, dans lequel, après avoir salué les assistants, il dit :


“... Ce congrès ne sera pas du verbalisme ; de la démagogie non plus. Son caractère transcendantal ira assez loin dans la conscience de tous les Espagnols...


« Et sachant que les éleveurs sont rassemblés, je veux au nom de tous, offrir notre hommage au grand homme d’état, le Caudillo d’Espagne, Francisco Franco. Avec Franco et pour l’Espagne se lèvent les éleveurs espagnols, et de même que dans les temps impériaux le Conseil de la Mesta avait pour symbole insigne de ses privilèges la majesté du Roi, aujourd’hui, nous, la totalité des éleveurs d’Espagne, nous offrons à notre Caudillo la présidence d’honneur du cheptel espagnol, encadré par l’institution du Syndicat National de l’Élevage, dans cette Espagne glorieuse, qui est redevenue un royaume grâce à l’épée et à la majesté du commandement de Francisco Franco. Franco possède une conception quasi frénétique de l’avenir. Il a la juste appréciation en degré et en ligne du complexe mouvement d’action et de réaction des passions humaines, il a l’intuition du calendrier du futur, voyant dans l’obscurité du destin le fait qui se cache encore dans ses entrailles. Il connaît exactement la force morale disponible pour forger ou précipiter chaque nouveauté. Il domine l’estimation exacte des capacités latentes en la communauté espagnole pour arriver à un but précis. Franco soit notre conducteur en l’anxiété créatrice des éleveurs espagnols !...”


« À la fin de son brillant discours, M. Aparicio fut très applaudi par tous les membres de l’assemblée. »


Hoja de Lunes, Barcelone

pour l’Internationale lettriste :


Michèle Bernstein, Jacques Fillon, Véra.


M. BERNSTEIN, J. FILLON, VÉRA, « Apothéose d'un veau », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 18, 23 mars 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

Monday, June 09, 2008

UN MÉDIUM À L'EAU DE VICHY (24 février 1955)

(Max ERNST, L'Unique et sa propriété, frottage, 1925, 26 X 20)


La revue surréaliste, métapsychique et Abellio-occultiste Medium, après sept mois d’un silence que l’on pouvait espérer définitif, vient de publier son numéro 4. Dédé-les-Amourettes et ses douze derniers apôtres y mettent à l’index Max Ernst, coupable d’avoir vendu à la Biennale de Venise la peinture même qu’ils essaient plus moralement de refiler aux Américains dans les galeries peu connues de la rive gauche.

On vérifie une fois de plus que quand on touche à leur seul commerce ces habitués de toutes les compromissions deviennent farouches : ils paraissent croire que des « milieux indépendants » nourriraient des illusions à leur propos. Ils s’inquiètent même de laisser « désorienter la jeunesse ».

Le plus sot, celui qui définit généralement la curieuse position politique de la bande, commente avec sympathie le dernier gouvernement. Le génie du contresens que nous avons déjà décelé chez ce personnage lui inspire de comparer le prolétariat évolué de 1848 au sous-prolétariat dégradé d’aujourd’hui « pour lequel les préoccupations alimentaires et le problème du logement tiennent plus de place que les virtualités révolutionnaires ». On peut en déduire qu’il ne sait rien de juin 1848, de Marx, du prolétariat.

Mieux encore, le même conclut de « l’expérience Mendès » que les divers éléments du capitalisme international, ou les factions qui le représentent à l’échelle nationale sont plus occupés de leurs luttes intestines que d’un combat contre le monde prolétarien. On peut en déduire que ce professionnel de l’anticommunisme ne sait rien de Staline, dont il reproduit bêtement la plus fausse et la plus funeste théorie.


« Un Médium à l'eau de Vichy », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

TROIS PETITS TOURS ET PUIS S'EN VONT... (L. RANKINE, 24 février 1955)


La démission du dauphin de Staline a plongé les Occidentaux dans la stupeur. Stupeur feinte, il est vrai, car il n’est sans doute pas un seul homme poli tique responsable (?) des pays capitalistes pour ne pas admettre implicitement que la chute de Malenkov se trouvait rendue inévitable à la suite des dernières élucubrations de la politique du Pentagone. La ratification des accords de Paris et les préparatifs loufoques d’aide au boyard attardé de Formose, voilà autant de causes réelles à l’actuel raidissement soviétique, à l’apparent « retour à Staline » annoncé par Khrouchtchev au Soviet de l’U.R.S.S. En bon Talleyrand de la révolution d’Octobre, le larbin n° 1 Molotov n’a fait que renchérir à l’oscillation du pendule de la politique soviétique. Avant de s’étonner, nos innocents partisans du réarmement allemand auraient mieux à faire en reconnaissant que la discussion avec l’Est est maintenant, de nouveau, compromise par leur sottise criminelle. Quand donc comprendra-t-on qu’il existe chez les Russes – et avant toute présupposition révolutionnaire, hélas – une crainte permanente de l’Occident ? Et le tournant amorcé par Khrouchtchev ne manifeste, une fois de plus, que cette inquiétude – tout compte fait légitime, mais nuisible à la révolution même – que la politique de Staline, politique à l’échelle de cette réaction psychologique primaire, avait traduite avec tant de force, d’application rusée et naïve à la fois.


Néanmoins, la démission de Malenkov, si elle s’inscrit logiquement dans la longue suite des tournants du régime orchestrés en fonction de cette crainte, porte préjudice avant tout aux intérêts révolutionnaires du prolétariat mondial. Si le président du conseil russe est amené à se déclarer « incompétent », on se demande comment le sens critique des travailleurs doit être envisagé et quelle conclusion en tireront – ne disons pas les mercenaires de la philosophie bourgeoise du type Toynbee ou R. Aron – mais les marxistes authentiques. L’état actuel de la direction du mouvement révolutionnaire est tel que bien peu d’entre eux, sans doute, admettront encore la possibilité de perspectives révolutionnaires confiées à l’appréciation de gens aussi peu qualifiés que Malenkov, Khrouchtchev et consorts, ces staliniens sans Staline c’est-à-dire sans le mythe de la force. Il n’est pas de plus cinglant démenti du « niveau idéologique révolutionnaire » des staliniens, de leur prétendue « fidélité à Lénine » que la pitoyable confusion des maîtres actuels du Kremlin.


Où donc sont les révolutionnaires ? D’aucuns, déjà, prétendent à la « nouvelle gauche non marxiste », piège usé de la réaction style « capitalisme évolué ». Mais le moment est venu pour les marxistes de choisir entre les palinodies de Moscou et la voie difficile mais seule authentique, les perspectives de la critique réelle.


Léonard Rankine


Léonard RANKINE, « Trois petits tours et puis s'en vont... », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

QUELQUES FORMES QUE PRENDRA LA DÉRIVE (Véra, 24 février 1955)


Elle doit être :

a) dans le temps – constante, lucide ; influentielle et surtout énormément fugitive.

b) dans l’espace – désintéressée, sociale, toujours passionnante.

Peut s’effectuer à l’état latent, mais toujours les déplacements la favorisent.

En aucun cas elle ne doit être équivoque.

Véra

VÉRA, « Quelques formes que prendra la dérive », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

QUART DE FINALE (24 février 1955)


À l’appui d’une réalité quotidienne déprimante au point que l’on sait, la bourgeoisie exploite deux ou trois industries d’évasion utiles au système. Le western, le scoutisme et le reportage exotique recrutent pour les mêmes Corps Expéditionnaires.

Au-dessus de ces évasions de consommation courante, des amuseurs de première grandeur produisent, avec le cachet d’individualité du travail artisanal, du confusionnisme pour élites instruites. Les meilleurs sont assurés d’appartenir à l’histoire de leur « civilisation », s’ils s’identifient parfaitement à ce moment dont ils assument la défense.
On peut parler d’une sorte de championnat interpolices.

Après diverses tentatives Malraux-Capital-Travail, Malraux-l’Express, en réussissant à comparer Saint-Just à Mahomet six fois en vingt et une pages, vient d’établir solidement son titre de mameluck du XXe siècle.

Mais les carottes sont cuites. Cette fois, Cocteau gagne.

pour l’Internationale lettriste :

Michèle Bernstein, Dahou, Debord, Gil J Wolman.
M. BERNSTEIN, M. DAHOU, G.-E. DEBORD, Gil J WOLMAN, « Quart de finale », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

ÔTE TA MOUSTACHE ON T'A RECONNU


Extraits du sermon Sur Saint-Just, paru dans la Nouvelle-nouvelle Revue Française de janvier, sous la signature du Nouveau-nouveau Malraux.

« ... la légende française aime les soldats... Sans doute la présence de Saint-Just dans quelques mémoires tient-elle à celle des soldats de l’an II dans toutes les autres.

« Il veut créer des institutions pour former des hommes, et des hommes pour vouloir des lois dignes d’eux. Que l’on cesse d’étudier de telles institutions au nom du bonheur, et plus encore de la raison – entre le système métrique et les réformes du Code Civil – leur vraie nature se révèle ; elles sont la règle d’un immense couvent, où la cocarde remplace la croix... le laconisme qu’il veut imposer est celui des Ordres.

« Il appelle institutions les moyens de former cette conscience qui n’est pas seulement celle de la justice, quoi qu’il en dise. Il croyait les trouver à Sparte ; il les eût trouvés dans l’Église.

« ... les forces de Saint-Just se conjuguent pour découvrir dans la confusion des événements l’étoile fixe qu’il appelle République. Napoléon l’appellera la sienne ; Lénine, le prolétariat ; Gandhi, l’Inde ; le général de Gaulle, la France. »

« Ôte ta moustache on t'a reconnu », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

LES FELLAGHAS PARTOUT (24 février 1955)


Il y a quelques jours la presse révélait que sur le corps d’un chef terroriste abattu dans l’Aurès on avait trouvé deux mandats envoyés de France, d’une valeur totale de un million.

La semaine dernière, deux ouvriers originaires de Batna devaient quitter l’usine parisienne qui les employait, après qu’on les eut accusés de financer les rebelles en campagne par des mandats qu’ils expédiaient dans leur pays.

Quand on sait que presque tous les Algériens qui travaillent en France font vivre sur leur salaire les familles qu’ils laissent en Algérie (en réalité, c’est pour cela qu’ils ont dû venir en France), on se rend compte de l’utilité d’une telle provocation, applicable en tous lieux contre les éléments suspects à la direction.

Nos camarades algériens devront signaler autour d’eux cette manœuvre, dont la surprise paraît être la principale condition de succès.


« Les Fellaghas partout », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.

TOUT ORDRE NEUF (J. FILLON, 24 février 1955)


Tout ordre neuf est considéré comme un désordre et traité comme tel. Les premiers essais de « métagraphie libérée » furent effectués par G.-E. Debord et moi-même durant l’automne 1951.

Convaincus que nous étions sur la bonne voie par quelques succès probants, nous persévérâmes et obtînmes en octobre dernier, trois ans après presque jour pour jour, les résultats tangibles que nous escomptions. Ces résultats, encore bien loin de nous satisfaire complètement, nous ont cependant permis de faire un grand pas dans l’évolution de la forme.

Malgré sa puissance intrinsèque de rayonnement, l’écométagraphie inhérente à la matière restait jusqu’à ce jour absolument spécifique. Plus généralement employée sous l’appellation tronquée de « métagraphie », l’écométagraphie est la discipline considérant l’art métagraphique comme une branche de l’économie et son œuvre comme un simple bien échangé pour d’autres biens dans un circuit intégral de marchandises – Notre but était de la rendre volatile et d’élargir son champ par la volonté même de l’image, et non par un caprice expérimental.

Le terrain envisagé pour la première expérience fut plat et caractérisé par l’absence de corps supra-naturels (ces deux conditions ne devront évidemment jamais être absolues). Le problème du jeu de l’ombre et de la lumière, base de toute métagraphie tridimensionnelle, se pose immédiatement ; la luminosité employée à cet effet doit être intensive et soutenue. Le premier écueil réside donc dans la captation des polarisants ; il peut être résolu par le procédé de l’héliographie qui permet d’obtenir, à certaines heures et suivant le méridien, une amplitude normalisée suffisamment vaste, et à partir de laquelle on peut effectuer avec satisfaction une première simplification des éléments.

Pour plus de compréhension de ce qui va suivre, je prendrai une amplitude étalon normalisée de (10) (15). Imaginant que dans ce premier cas la normalisation soit réalisée par un moyen artificiel plus maniable (infra-rouge sur-puissant, ultra-violet, etc.), j’obtiens après simplification des éléments un plan polarisé de 150 m2. D’ores et déjà je peux intégrer les clefs sensorielles correspondantes à la structure géologique, que j’appellerai pour l’exemple qui nous intéresse structure « sculptographique » La sculptographie est évidemment le travail le plus intéressant, mais aussi le plus délicat. Chaque élément nouveau inséré devra répondre parfaitement à la projection que l’on désire obtenir : ombre portée ou image. Ils doivent être absolument indépendants entre eux, le premier du second, le troisième du quatrième, et ainsi de suite jusqu’à concurrence de six, maximum que peut supporter une surface de 150 m2.

Ce nombre de six clefs sensorielles n’est pas choisi au hasard, les différentes expériences qui motivèrent ce choix, je le rappelle, furent réalisées par le procédé de l’héliographie, donc en plein air ; procédant sous l’abri, l’on doit tenir compte d’une atténuation de 30 % ce qui représente environ 72 à 75 décibels. Une amplification appréciable ne pouvant déjà être envisagée, on a intérêt à travailler sous une polarisation réduite, afin que la diminution de l’amplification aux fréquences élevées ne soit pas trop grande. (Le néon ordinaire doit pouvoir amplifier uniformément toutes les fréquences.) Il est donc normal de calculer la hauteur des normalisateurs en fonction de la surface polarisée.

Cette première partie ou « période intentionnelle » terminée, la créativité multiplicatrice sera réalisée comme habituellement sur l’écométagraphie primaire plane, en tenant évidemment compte de sa nouvelle trivalence.

Dans un prochain numéro de Potlatch j’entreprendrai les révolutions économiques qu’entraînent la découverte et l’évolution de la métagraphie libérée ou tridimensionnelle.

Jacques FILLON, « Tout ordre neuf », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 17, 24 février 1955 (Rédacteur en chef : M. DAHOU, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.