Saturday, June 30, 2007
LA MEILLEURE NOUVELLE DE LA SEMAINE (10 août 1954)
« La meilleure nouvelle de la semaine », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 8, 10 août 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par M.-I. BERNSTEIN, A.-F. CONORD, Mohamed DAHOU, G.-E. DEBORD, Jacques FILLON, VÉRA, WOLMAN)
LES BARBOUILLEURS (10 août 1954)
Que les architectes reviennent depuis quelques années à la polychromie ne saurait donc nous surprendre. Mais leur pauvreté spirituelle et créatrice, leur manque total de simple humanité, sont au moins désolants. La polychromie ne sert actuellement qu'à masquer leur incompétence. Deux exemples, choisis après une enquête menée auprès de cent cinquante architectes parisiens, le prouvent assez :
Projet de trois jeunes architectes (22-25-27 ans) persuadés de leur génie et de leur nouveauté, naturellement admirateurs du Corbusier :
À Aubervilliers - lieu déshérité s'il en fut, puisqu'un jeune admirateur du céramiste saint-sulpicien Léger y a déjà fait des siennes -, long cube parallélépipédique rectangle. Pour faire comme il se doit « jouer » la façade jugée trop plate, on la flanquera de panneaux jaunes alternant avec des panneaux violets, de 1 m sur 60 cm. On laissera aux ouvriers le choix de la place des panneaux. Le hasard objectif en quelque sorte.
Mais à quand la première construction absolument « automatique » ?
Projet d'un architecte relativement connu (45 ans) :
Près de Nantes, « blocs » scolaires : deux longs cubes séparés par l'inévitable terrain de sport et ses magnifiques orangers nains en caisse. La construction de droite, côté garçons, sera recouverte de panneaux verts et rouges, 2 m sur 1, la construction de gauche, côté filles, de panneaux jaunes et violets, mêmes dimensions.
Les architectes en question vont réaliser cette adorable débauche de couleurs au moyen de minces panneaux de ciment. Ils ignorent à peu près totalement comment ce matériau va se comporter en présence des réactifs chimiques contenus dans les colorants. À Aubervilliers, seule une gouttière protégera de la pluie une façade de cinq étages. À Nantes, d'ailleurs, même insouciance, mais pour deux étages seulement.
On sait à quel point le violet est désagréablement influentiel ; on sait à quelles pompes il participe en général ; on pressent quel alliage formeront bientôt le jaune sale et le violet délavé. Ces exemples se passeront donc de commentaires. On jugera seulement de la pauvreté actuelle des recherches architecturales quand on saura que la plupart des architectes interviewés, lorsqu'ils s'intéressent à la polychromie, ne semblent vouloir se servir que du jaune et du violet, ou du rouge et du vert, alliage un peu « jeune » pour notre temps. Cependant, un architecte (45-50 ans) de la rue de l'Université, et un autre (même âge) de la rue de Vaugirard, préparent sans forfanterie des compositions plus intéressantes. Le premier, qui revient d'Amérique - et il paraît intéressant de noter qu'actuellement, la forme la plus civilisée d'architecture nous vient des U.S.A. avec Frank Lloyd Wright et son architecture « organique », ou d'Amérique latine, avec Rivera et ses villes -, construit surtout des villas pour gens riches, en travaillant dans les tons clairs, en se servant de matériaux sûrs, du carreau de céramique à la brique hollandaise. Le second travaille dans les mêmes teintes, mais pour des immeubles plus ou moins H.L.M. Il est donc assez limité dans sa recherche, et s'en voit parfois réduit à faire appel au ciment, quand ce n'est pas au « bloc Gilson ». On le regrettera pour lui - et pour les autres.
« Les Barbouilleurs », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 8, 10 août 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par M.-I. BERNSTEIN, A.-F. CONORD, Mohamed DAHOU, G.-E. DEBORD, Jacques FILLON, VÉRA, WOLMAN)
POUR LA GUERRE CIVILE AU MAROC (10 août 1954)
Appuyant d'abord les revendications dynastiques du nationalisme, cette minorité peut dès maintenant entraîner la base du mouvement vers une insurrection plus sérieuse, sans subordonner son intervention à une prise de conscience de classe par l'ensemble du prolétariat marocain.
INTERNATIONALE LETTRISTE, « Pour la guerre civile au Maroc », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 8, 10 août 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par M.-I. BERNSTEIN, A.-F. CONORD, Mohamed DAHOU, G.-E. DEBORD, Jacques FILLON, VÉRA, WOLMAN)
LES GRANDES VICTOIRES DE LA FRANCE (3 août 1954)
Sunday, June 24, 2007
ON DÉTRUIT LA RUE SAUVAGE (3 août 1954)
Un des plus beaux sites spontanément psychogéographiques de Paris est actuellement en voie de disparition :
La rue Sauvage, dans le 13e arrondissement, qui présentait la plus bouleversante perspective nocturne de la capitale, placée entre les voies ferrées de la gare d’Austerlitz et un quartier de terrains vagues au bord de la Seine (rue Fulton, rue Bellièvre), est – depuis l’hiver dernier – encadrée de quelques-unes de ces constructions débilitantes que l’on aligne dans nos banlieues pour loger les gens tristes.
Nous déplorons la disparition d’une artère peu connue, et cependant plus vivante que les Champs-Élysées et leurs lumières.
Nous ne sommes pas attachés au charme des ruines. Mais les casernes civiles qui s’élèvent à leur place ont une laideur gratuite qui appelle les dynamiteurs.
LES MALHEURS D’IVICH (3 août 1954)
DRÔLE DE VIE (3 août 1954)
Puisqu’on nous en fait le reproche, il faut bien admettre qu’en effet il n’existe pas de différence essentielle entre une métagraphie et un quotidien d’information.
Tout au plus peut-on se demander au service de quelle propagande les uns et les autres entreprennent de « conditionner les sentiments et les gestes ».
L’exposition de la Galerie du Double Doute ne nous semble pas plus « insolite » ni plus « bizarre » que les conditions d’existence dont certains s’accommodent. Il se trouve des gens pour acheter la feuille de province – pauvrement réactionnaire – nommée Nice-Matin. Et d’autres pour y travailler.
Saturday, June 23, 2007
LA MEILLEURE NOUVELLE DE LA SEMAINE (3 août 1954)
« Washington, 29 juillet (A.F.P.). – Dans une allocution prononcée à l’occasion d’un congrès religieux, M. Richard Nixon, vice-président des États-Unis, a déclaré qu’il pensait que ceux qui s’imaginaient qu’un “bol plein de riz” pourrait empêcher les peuples d’Asie de se tourner vers le communisme “se trompaient lourdement”.
« “Le bien-être économique est important”, a poursuivi le président, “mais affirmer que l’on peut gagner les peuples de l’Asie à notre cause en relevant leur niveau de vie est un mensonge et une calomnie. Ce sont des peuples fiers qui possèdent un grand passé historique.” »
« La meilleure nouvelle de la semaine », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 7, 3 août 1954
« ... UNE IDÉE NEUVE EN EUROPE » (3 août 1954)
pour l’Internationale lettriste :
Michèle-I. BERNSTEIN,
UN NOUVEAU MYTHE - DÉLIMITATION DU MYTHE (CONORD, 22 juin + 27 juillet 1954)
A.-F. C.
LES PETITS STUPÉFIANTS (27 juillet 1954)
Ce jeu ne peut être mené qu’avec la plus grande rigueur.
NOTES POUR UN APPEL À L’ORIENT (DAHOU, 27 juillet 1954
Les États arabes meurent. Où pourraient mener leurs politiques nationales, fondées sur la misère de leurs peuples ?
Il n’y a pas eu de révolution égyptienne. Elle est morte dès les premiers jours ; elle est morte avec les ouvriers du textile fusillés pour « communisme ». En Égypte on endort la foule en lui montrant le canal de Suez. Les Anglais ne s’en iront pas loin : seulement jusqu’en Jordanie ou en Libye.
L’Arabie Saoudite fonde sa vie sociale sur le Coran et vend son pétrole aux Américains. Tout le Moyen-Orient est aux mains des militaires. Les puissances capitalistes dressent des nationalismes rivaux, et en jouent.
Il faut dépasser toute idée de nationalisme. L’Afrique du Nord doit se libérer non seulement d’une occupation étrangère, mais de ses maîtres féodaux. Nous devons reconnaître notre pays partout où règne une idée de la liberté qui nous convienne, et là seulement.
Nos frères sont au-delà des questions de frontière et de race. Certaines oppositions, comme le conflit avec l’État d’Israël, ne peuvent être résolues que par la révolution dans les deux camps. Il faut dire aux pays arabes : Notre cause est commune. Il n’y a pas d’Occident en face de vous.
Mohamed DAHOU, « Notes pour un appel à l'Orient», Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 6, 27 juillet 1954
LES MEILLEURES NOUVELLES DE LA SEMAINE (27 juillet 1954)
« Cessez-le-feu signé pour toute l’Indochine. »
« Tunis, 20 juillet, A.F.P. – Les mouvements de fellaghas restent importants. Durant les dernières trente-six heures, on a signalé le passage de bandes rebelles montant des montagnes du sud-ouest en direction du Kef. On s’attend à des actions de ces hors-la-loi et les autorités ont pris toutes les précautions pour pallier cette menace. On signale par ailleurs que 150 jeunes gens du Sahel viennent de rejoindre les fellaghas. »
Thursday, June 21, 2007
LE BRUIT ET LA FUREUR (27 juillet 1954)
Dadaïsme en positif, cette époque du mouvement opéra la critique de l’évolution formelle des disciplines esthétiques, dans un souci exclusif de nouveauté qui n’était pas – comme on nous l’a trop facilement objecté – goût de l’originalité à tout prix, mais volonté de se soumettre les mécanismes de l’invention. L’élargissement dialectiquement prévisible des objectifs du Lettrisme, marqué par de vives luttes de factions et l’exclusion de meneurs dépassés, devait situer le problème dans la seule utilisation de ces mécanismes, à des fins passionnelles.
L’Internationale lettriste, fondée en juin 1952, a groupé la tendance extrémiste du mouvement. En octobre de la même année, à la suite des incidents provoqués par les tenants de l’Internationale contre Charles Chaplin, et du désaveu de ce geste par la droite lettriste, l’accord avec la tendance rétrograde était dénoncé, et ses membres épurés.
Notre démarche s’est, depuis, précisée à toute occasion.
Nous avons toujours avoué qu’une certaine pratique de l’architecture, par exemple, ou de l’agitation sociale, ne représentait pour nous que des moyens d’approche d’une forme de vie à construire.
Seule, une hostilité de mauvaise foi conduit une part de l’opinion à nous confondre avec une phase de l’expression poétique – ou de sa négation – qui nous importe aussi peu, et autant que toute autre forme historique qu’a pu prendre l’écriture.
Il est aussi maladroit de nous limiter au rôle de partisans d’une quelconque esthétique que de nous dénoncer comme on l’a fait par ailleurs, en tant que drogués ou gangsters. Nous avons assez dit que le programme de revendications défini naguère par le surréalisme – pour citer ce système – nous apparaissait comme un minimum dont l’urgence ne doit pas échapper.
Quant aux ambitions personnelles, elles sont assez peu conciliables avec les causes pour lesquelles nous nous sommes délibérément compromis.
22 juillet 1954
pour l’Internationale lettriste :
Michèle-I. BERNSTEIN,
LA MEILLEURE NOUVELLE DE LA SEMAINE (20 juillet 1954)
« Tokyo, 14 juillet. – La grève que font actuellement les employées d’une soierie pour leur droit à une vie sentimentale normale, s’est presque transformée en “guerre” entre les employeurs et la population de Fujinomiya, à 64 kilomètres de Tokyo.
Les jeunes employées de l’usine “Omi Silk Spinning Company”, qui vivent en dortoirs sous un régime très strict, se plaignent que la compagnie fait tout ce qui est en son pouvoir pour les empêcher de se marier ou d’avoir une vie sentimentale “à cause du manque de rendement qui en résulterait”.
Elles se plaignent d’avoir besoin de la permission de sept personnes pour pouvoir quitter l’usine et ses dépendances, de ne pouvoir se mettre de rouge à lèvres ou de poudre et d’avoir à se coucher tous les soirs à neuf heures.
Le directeur de la firme, M. Kakuji Natsukawa, est un bouddhiste et les jeunes filles se plaignent d’avoir à défiler chaque matin sur le terrain de l’usine en chantant des hymnes bouddhistes.
Ces hymnes sont suivis d’autres chants ayant pour titre par exemple : “Aujourd’hui je ne ferai pas de demande inconsidérée”, ou “Aujourd’hui, je ne me plaindrai pas”. »
(Combat, 15 juillet.)
« La Meilleure nouvelle de la semaine », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 5, 20 juillet 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par BERNSTEIN, CONORD, DAHOU, DEBORD, FILLON, WOLMAN)
Wednesday, June 20, 2007
LES CATHARES AVAIENT RAISON (20 juillet 1954)
« Washington, 9 juillet. – Toute la presse américaine publie aujourd’hui des photos du physicien Marcel Schein, professeur à l’université de Chicago, de son tableau noir et de son “anti-proton”, mystérieuse particule de matière cosmique qui aurait été détectée l’hiver dernier par un ballon-sonde à 30 kilomètres au-dessus du Texas.
Il s’agirait en fait d’une des plus grandes découvertes de la science moderne. L’anti-proton, recherché depuis des années par les physiciens du monde entier, serait l’opposé du proton.
Le proton est le noyau de l’atome d’hydrogène et, par conséquent, constitue l’élément de base de tous les corps terrestres. Un proton et un anti-proton qui se rencontrent se détruisent mutuellement. L’anti-proton serait donc capable d’annihiler toute matière composée de protons. Ce serait essentiellement une “contre-matière”. Il paraît cependant impossible d’en réunir suffisamment pour détruire la planète. »
LE DROIT DE RÉPONSE (13 juillet 1954)
À toute violence, il faut riposter par une violence plus grande : il existe heureusement en France, depuis quelques années, une minorité combative d’une conscience révolutionnaire avancée ; les travailleurs nord-africains sont particulièrement nombreux à Paris et dans les villes du Nord ou de l’Est. Un sincère effort de propagande parmi eux est extrêmement « payant ». Les avantages de cette alliance sont aussi nombreux qu’apparents. Leur technique de la bagarre de rue est égale ou supérieure à celle des formations paramilitaires les plus entraînées. Des permanences se sont constituées d’elles-mêmes dans de nombreux quartiers où les cafés algériens sont emplis de chômeurs.
Enfin, entre tous les Nord-Africains de Paris, l’accord s’est fait sur quelques sujets : ils sont prêts à taillader toute espèce de fasciste, quelle qu’en soit l’étiquette.
Malgré le secours de la police, il est très facile d’expulser de la voie publique certaines canailles.
La Rédaction
« Le Droit de réponse », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 4, 13 juillet 1954
UNE ENQUÊTE DE L’INTERNATIONALE LETTRISTE (13 juillet 1954)
– Quelle nécessité reconnaissez-vous au JEU COLLECTIF dans une société moderne ?
– Quelle attitude convient-il de prendre envers les détournements réactionnaires de ce besoin (style Tour de France) ?
Communiquer les réponses à Mohamed Dahou, rédacteur en chef de l’Internationale lettriste, 32 rue de la Montagne-Geneviève, Paris 5e.
PIN YIN CONTE VACHÉ (6 juillet 1954)
La grande vogue des guerres et des « lettres de guerre » nous impose de connaître les actes les plus sales d’héroïsme, comme les plus beaux témoignages de désertion.
Mais cette apologie d’une fuite à l’intérieur que furent les symboles essentiellement symboliques de Jacques Vaché (« jamais je ne gagnerai tant de guerres »), nous ne la goûtons plus ; nous choisirons la mutinerie qui gagne.
Nous savons comment se construisent les personnages. Nous n’oublions pas que Jacques Vaché a tout de même été entièrement conditionné par le système militaire du moment. (Au contraire Arthur Cravan paraît avoir réussi d’un bout à l’autre un fulgurant voyage, sans aucun des visas du siècle.)
Nous ne voulons pas contester la grandeur de la résistance individuelle de Vaché, mais, comme nous l’écrivions en octobre 1952 à propos du néfaste Chaplin-Feux-de-la-Rampe : « Nous croyons que l’exercice le plus urgent de la liberté est la destruction des idoles, surtout quand elles se recommandent de la liberté. » (Internationale lettriste n° 1.)
Nous avouons ne juger les littératures qu’en fonction des impératifs de notre propagande : la diffusion des « Lettres » de Vaché parmi les lycéens français n’apporte que certaines formulations élégantes aux plates négations qui sont à la mode.
Cependant, par un petit livre à peu près inconnu, le Journal d’une jeune révolutionnaire chinoise (Librairie Valois, 1931), Pin Yin, une écolière de seize ans qui a suivi l’Armée Populaire dans sa marche sur Changhaï, nous a gardé ces deux mots de jeunesse rouge :
« Quant à mes parents, je ne voulais naturellement pas les quitter. Mais nous ne devons plus penser à cela, parce que la Révolution doit sacrifier un petit nombre d’hommes pour le bien et le bonheur de la grande majorité... »
On sait la fin de cette histoire ; et les vingt ans de règne du général qui se survit encore à Formose ; et les bourreaux du Kuomintang :
« ... Mais nous ne sentions nullement la souffrance, nous croyions que demain serait calme et beau : un soleil rouge comme le sang et devant nous, un grand chemin tout rempli de lumière, un beau jardin. »
La voix de Pin Yin nous parvient de cette retombée du jour où sont partis, où disparaissent – à quelle vitesse en kilomètres-seconde de la rotation terrestre ? – nos amies et nos plus sûrs complices. Les meilleures raisons, du moins, ne manqueront pas à la guerre civile.
G.-E. DEBORD, « Pin Yin contre Vaché », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 3, 6 juillet 1954
GUATEMALA (POTLATCH, 22 juin-20 juillet 1954
Une fois de plus Foster Rockett Dulles vous appelle aux armes : le Guatemala a exproprié l’« United Fruit », trust qui exploitait depuis 1944 la gomme et les habitants de ce pays pour en tirer l’indispensable chewing-gum.
Le dieu des Armées anticommunistes s’est exprimé en ces termes : « Pour écarter ces forces du mal, il faut recourir à une action pacifique et collective. » L’action est en cours : les armes made in U.S.A. sont déjà livrées au Honduras et au Nicaragua réactionnaires ; des complots sont suscités à grands coups de dollars ; l’Amérique repart pour la Croisade.
Jusque dans le détail, on reprend les méthodes qui ont détruit l’Espagne républicaine.
Mais à Bogota, les étudiants manifestent sous le feu des tanks, et le mouvement révolutionnaire du Guatemala apparaît comme la seule chance de la liberté sur ce continent.
Le gouvernement de J. Arbenz Guzman doit armer les ouvriers.
Aux sanctions économiques, aux attaques militaires de l’impérialisme, il faut répondre par la guerre civile portée dans les pays asservis d’Amérique centrale, et par l’appel aux volontaires d’Europe.
Paris, le 16 juin 1954
pour l’Internationale lettriste :
André-Frank CONORD,
Mohamed DAHOU,
Guy-Ernest DEBORD,
Jacques FILLON,
Patrick STRARAM,
Gil J WOLMAN.
Internationale lettriste, « Leur faire avaler leur chewing-gum », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 1, 22 juin 1954 (Rédacteur en chef : André-Frank CONORD ; Rédaction : Mohamed DAHOU, Guy-Ernest DEBORD, Jacques FILLON, Patrick STRARAM, Gil J WOLMAN)
II.
Le 30 juin, le gouvernement guatémaltèque dont s’est emparé la veille un colonel Monzon, capitule devant l’agression montée par les États-Unis, et leur candidat local C. Armas.
Même les plus imbéciles meneurs des bourgeoisies européennes comprendront plus tard à quel point les succès de leurs « indéfectibles alliés » les menacent, les enferment dans leur contrat irrévocable de gladiateurs mal payés du « american way of life », les condamnent à marcher et à crever patriotiquement dans les prochains assommoirs de l’Histoire, pour leurs quarante-huit étoiles légèrement tricolores.
Depuis l’assassinat des Rosenberg, le gouvernement des États-Unis semble avoir choisi de jeter chaque année, en juin, un défi saignant à tout ce qui, dans le monde, veut et sait vivre librement.
La cause du Guatemala a été perdue parce que les hommes au pouvoir n’ont pas osé se battre sur le terrain qui était vraiment le leur.
Une déclaration de l’Internationale lettriste (Leur faire avaler leur chewing-gum) en date du 16 juin – trois jours avant le pronunciamiento – signalait qu’Arbenz devait armer les syndicats, et s’appuyer sur toute la classe ouvrière de l’Amérique centrale dont il représentait l’espoir d’émancipation.
Au lieu d’en appeler aux organisations populaires spontanées et à l’insurrection, on a tout sacrifié aux exigences de l’armée régulière, comme si, dans tous les pays, l’armée n’était pas essentiellement fasciste, et toujours destinée à réprimer.
Une phrase de Saint-Just a jugé d’avance les gens de cette espèce :
« Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau... »
Le tombeau est ouvert aussi pour nos camarades du Guatemala – dockers, camionneurs, travailleurs des plantations – qui ont été livrés sans défense, et qu’on fusille en ce moment.
Après l’Espagne ou la Grèce, le Guatemala se range parmi les contrées qui attirent un certain tourisme.
Nous souhaitons de faire un jour ce voyage.
pour l’Internationale lettriste :
M.-I. BERNSTEIN,
André-Frank CONORD,
Mohamed DAHOU,
G.-E. DEBORD,
Jacques FILLON,
Gil J WOLMAN.
Internationale lettriste, « Le Guatemala perdu », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 3, 6 juillet 1954
– Le général Carlos Castillo Armas, chef des insurgés qui ont remporté la victoire au Guatemala, a été nommé président de la junte militaire.
– Castillo Armas définit sa politique : « La justice du peloton d’exécution. »
Tuesday, June 19, 2007
UNE AUTOCRITIQUE EXEMPLAIRE ( Octobre 1953)
Tuesday, June 12, 2007
RÉPONSE À UNE ENQUÊTE DU GROUPE SURRÉALISTE BELGE (Janvier 1954)
« Quel sens donnez-vous au mot poésie ? »
La poésie a épuisé ses derniers prestiges formels. Au-delà de l'esthétique, elle est toute dans le pouvoir des hommes sur leurs aventures. La poésie se lit sur les visages. Il est donc urgent de créer des visages nouveaux. La poésie est dans la forme des villes. Nous allons donc en construire de bouleversantes. La beauté nouvelle sera DE SITUATION, c'est-à-dire provisoire et vécue.
Les dernières variations esthétiques ne nous intéressent que pour la puissance influentielle que l'on peut y mettre ou y découvrir. La poésie pour nous ne signifie rien d'autre que l'élaboration de conduites entièrement neuves, et les moyens de s'y passionner.
INTERNATIONALE LETTRISTE
Paru dans le numéro spécial de La Carte d'après Nature. Bruxelles, janvier 1954
Internationale lettriste, « Réponse à une enquête du groupe surréaliste belge », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 5, 20 juillet 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par BERNSTEIN, CONORD, DAHOU, DEBORD, FILLON, WOLMAN)
LES GRATTE-CIEL PAR LA RACINE (20 juillet 1954)
Dans cette époque de plus en plus placée, pour tous les domaines, sous le signe de la répression, il y a un homme particulièrement répugnant, nettement plus flic que la moyenne. Il construit des cellules unités d’habitations, il construit une capitale pour les Népalais, il construit des ghettos à la verticale, des morgues pour un temps qui en a bien l’usage, il construit des églises.
Le protestant modulor, le Corbusier-Sing-Sing, le barbouilleur de croûtes néo-cubistes fait fonctionner la « machine à habiter » pour la plus grande gloire du Dieu qui a fait à son image les charognes et les corbusiers.
On ne saurait oublier que si l’Urbanisme moderne n’a encore jamais été un art — et d’autant moins un cadre de vie —, il a par contre été toujours inspiré par les directives de la Police ; et qu’après tout Haussmann ne nous a fait ces boulevards que pour commodément amener du canon.
Mais aujourd’hui la prison devient l’habitation-modèle, et la morale chrétienne triomphe sans réplique, quand on s’avise que Le Corbusier ambitionne de supprimer la rue. Car il s’en flatte. Voilà bien le programme : la vie définitivement partagée en îlots fermés, en sociétés surveillées ; la fin des chances d’insurrection et de rencontres ; la résignation automatique. (Notons en passant que l’existence des automobiles sert à tout le monde — sauf, bien sûr, aux quelques «économiquement faibles» — : le préfet de police qui vient de disparaître, l’inoubliable Baylot, déclarait de même après le dernier monôme du baccalauréat que les manifestations dans la rue étaient désormais incompatibles avec les nécessités de la circulation. Et, tous les 14 juillet, on nous le prouve.) Avec Le Corbusier, les jeux et les connaissances que nous sommes en droit d’attendre d’une architecture vraiment bouleversante — le dépaysement quotidien — sont sacrifiés au vide-ordures que l’on n’utilisera jamais pour la Bible réglementaire, déjà en place dans les hôtels des U.S.A. Il faut être bien sot pour voir ici une architecture moderne. Ce n’est rien qu’un retour en force du vieux monde chrétien mal enterré. Au début du siècle dernier, le mystique lyonnais Pierre-Simon Ballanche, dans sa «Ville des Expiations» — dont les descriptions préfigurent les «cités radieuses» — a déjà exprimé cet idéal d’existence :
Mais à nos yeux les voyages terrestres ne sont ni monotones ni tristes ; les lois sociales ne sont pas imployables ; les habitudes qu’il faut attaquer de front doivent faire place à un incessant renouvellement de merveilles ; et le premier confort que nous souhaitons sera l’élimination des idées de cet ordre, et des mouches qui les propagent.
INTERNATIONALE LETTRISTE
Internationale lettriste, « Les gratte-ciel par la racine », Potlatch. Bulletin d'information du groupe français de l'Internationale lettriste, numéro 5, 20 juillet 1954 (Ce numéro de Potlatch a été rédigé par BERNSTEIN, CONORD, DAHOU, DEBORD, FILLON, WOLMAN)